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et dut subir un examen : le professeur chargé de l’interroger ne savait qu’un peu de mathématiques l’examen ne roula que sur des questions d’arithmétique, et le Français obtint la liberté de tuer tous ceux qui voudraient lui donner leur confiance. Malgré ces abus, malgré l’évidente insuffisance de l’enseignement public, les Brésiliens, même ceux qui ont passé quelques années en Europe, ont peine à convenir que l’instruction manque à leur pays. Ils vous citeront, comme preuve de progrès intellectuel, le développement de la presse dans la capitale et dans les provinces ; mais ces journaux ne sont ouverts qu’à une polémique haineuse, et il est impossible de les lire sans dégoût.

L’état moral de la population, d’origine portugaise répond à ses lumières : la corruption des mœurs brésiliennes est trop connue pour que je veuille en citer des exemples ; c’est d’ailleurs une affaire de famille. Dans les rares circonstances où l’étranger se voit accueilli par les Brésiliens, il peut difficilement étudier leur vie privée : tout se borne alors à une réception cérémonieuse. Je parle de Rio, où il existe une société à laquelle les femmes peuvent prendre part. Dans l’intérieur des provinces, vous pouvez passer des semaines entières sous le toit d’un habitant, sans entrevoir ni la femme ni les filles de votre hôte. Les Brésiliennes jouissent à coup sûr de moins de priviléges que les femmes de l’Orient. Rejetées pour la plupart dans la société des esclaves, elles mènent une vie purement matérielle[1]. Mariées jeunes, défigurées par leurs premières couches, elles ont bientôt perdu le peu d’agrémens qu’elles pouvaient avoir, et leurs maris s’empressent de leur substituer des esclaves mulâtresses ou négresses. Le mariage n’est considéré qu’au point de vue de l’intérêt. Vous êtes tout étonné de voir une jeune femme entourée de huit ou dix enfans : un ou deux seulement sont à elle, les autres appartiennent à son mari ; les enfans naturels sont en grand nombre et reçoivent l’éducation qu’on donne aux enfans légitimes. L’immoralité des Brésiliens se trouve favorisée par l’esclavage, et le mariage est repoussé par la plupart comme un lien gênant, comme une charge inutile. On m’a cité des districts entiers où sur toute une population il n’y avait que deux ou trois ménages. Les habitans vivaient dans un état de concubinage avec des femmes blanches ou des mulâtresses. Il arrive même souvent qu’un maître ayant abusé d’une jeune esclave la vend lorsqu’elle devient enceinte ; d’autres,

  1. On m’assure qu’un changement commence à s’opérer, et que beaucoup de Brésiliennes savent lire ; mais je doute fort qu’elles profitent beaucoup de cette instruction, si ce n’est pour déchiffrer leurs livres de prières.