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ne trouverait plus les mêmes avantages. A la faveur de la paix, la grande industrie a pris partout dans le monde des racines indestructibles. Partout, l’Angleterre le sait bien, puisque c’est par là qu’elle souffre, partout, et c’est le fait capital de la situation actuelle, il s’est constitué ou il se constitue des nationalités économiques, si l’on peut s’exprimer ainsi. De quel intérêt serait-il donc pour l’Angleterre d’entreprendre la guerre contre la France ? Les manufactures belges lui feraient-elles pour cela une concurrence moins redoutable ? Avec les bombes qu’elle viendrait lancer sur nos ports, avec les boulets dont elle percerait nos vaisseaux, ferait-elle brèche à cette enceinte du Zollverein qui s’élève chaque jour devant le flot refoulé de ses produits ? Pour détruire nos escadres, croit-elle qu’elle obtiendrait des concessions du tarif américain, et pendant qu’elle porterait contre nous l’effort de sa marine, s’imagine-t-elle que les cotons manufacturés des États-Unis, qui lui disputent avec avantage les marchés de l’Amérique méridionale, cesseraient la lutte qu’ils soutiennent déjà contre ses propres produits jusque dans l’Inde et en Chine ? Les intérêts industriels ne peuvent donc rien gagner à provoquer la guerre. Nous n’énumérerons pas les avantages qu’ils ont à la conjurer, à la prévenir : n’est-il pas évident, au contraire, qu’ils offrent bien plus de prise que les nôtres à l’agression, par la seule raison qu’ils embrassent un cercle plus vaste, qu’ils sont dispersés sur d’immenses espaces ? D’ailleurs la guerre, qui vient déplacer violemment les courans des intérêts, et en cela seul elle est un fléau immédiat que repoussent les intérêts industriels, la guerre commence et finit toujours par une crise commerciale.

L’Angleterre, comme nation et comme état, n’a pas de motif raisonnable pour susciter une guerre qui, de la part de la France, étant une guerre défensive, nous pousserait à de tels efforts et remuerait en nous des ressentimens si profonds, qu’elle pourrait préparer au royaume-uni les plus terribles catastrophes. Y aurait-il cependant un parti en Angleterre qui, dans un intérêt d’ambition et par une nécessité de situation, pût être porté à braver tous ces périls ?

Je crois que sur les dispositions des deux grands partis qui occupent tour à tour le pouvoir en Angleterre, on tombe communément en France dans l’erreur où conduisent les idées toutes faites, les préjugés. Je crois que nous nous sommes laissé tromper, dans l’appréciation des sentimens du parti whig et du parti tory à notre égard, par quelques souvenirs qui sont devenus des lieux communs. Nous pensions avoir défini, une fois pour toutes, et sans avoir plus à y revenir, les whigs et les tories ; nous regardions les whigs comme naturellement