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pas. Alors il a dû s’emporter souvent contre les Confidences. La diffusion est pour M. Lefèvre péché d’habitude. Comme il se complaît dans sa pensée, à l’instar de tous les amoureux, il la tourne et la retourne en tout sens, et la tirade se déroule sans fin. Pour de la passion, il y a en a certainement, et je ne comparerai pas ce cœur qui bat avec violence au cœur de cet autre poète qui n’est qu’un amoureux transi. Il arrive néanmoins que cet amant passionné me laisse froid, et qu’avec moins d’amour et plus d’habileté poétique il me toucherait davantage.

M. Lefèvre affectionne les fortes couleurs de style ; il n’admet guère les nuances ; sa poésie est trop accentuée ; il emploie de préférence les mots de gros calibre, il se soucie peu de la grace et ne sait pas être flexible, ce qui est d’un effet merveilleux quand on a la force. Si je voulais relever les vers exagérés, les images qui effleurent le ridicule pour vouloir être éclatantes ; si je donnais la chasse à travers les longues pages de l’immense recueil à toutes les fautes de goût, M. Lefèvre y perdrait trop, ce ne serait pas justice, à moins qu’on ne fit ressortir en même temps combien son talent est large, énergique, et qu’à côté de chaque mauvais vers on plaçât un bon vers. On pourrait long-temps continuer la partie ; je sais pourtant qui finirait par l’emporter et resterait maître du champ de bataille.

Les prétentions philosophiques de M. Lefèvre sont au niveau de ses prétentions poétiques. En disant tout à l’heure que M. Lefèvre n’avait jamais séquestré ses poésies, nous ne parlions que de celles qu’il publiait de nouveau et qui avaient autrefois paru aussitôt faites, et nous ne songions pas à une gigantesque épopée philosophique qui repose aux trois quarts construite dans les vastes profondeurs du portefeuille de M. Lefèvre, lequel se représente

Méditant un ouvrage aussi grand que le monde.

C’est chose assez curieuse à voir combien quelques poètes de la restauration qui débutèrent par des bluettes et vécurent de longues années sur une élégie ont vu grandir leur ambition : on dirait qu’ils ont voulu payer richement la réputation qu’on leur avait donnée à si bon marché. On sait que M. Soumet, qui fut si fort applaudi pour sa Pauvre Fille, s’est lancé plus tard dans les épopées et les œuvres cycliques ; M. Guiraud, après ses Petits Savoyards, en est venu à approfondir la philosophie de l’histoire et à créer une genèse ; il n’y a pas jusqu’à M. Reboul, qui, peu content de la gloire modeste et enviable que lui avaient procurée l’Ange et l’Enfant, n’ait voulu s’élever aux proportions du poème : les petits ruisseaux sont devenus des fleuves. Voici maintenant M. Jules Lefèvre qui a entrepris à son tour un poème démesuré, selon son expression, l’œuvre la plus colossale qu’une imagination ait pu rêver. Cette épopée s’appellera l’Univers et sera terminée dans quelques années, si tant est qu’on puisse terminer l’infini, dit modestement l’auteur. Que penser d’une ambition si vaste ? Après tout, il vaut