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pour finir on attend une image gracieuse, le poète termine par un vers de romance :

Jusqu’au matin c’est trop veiller !

En somme, les Heures sont un jardin aux allées sablées et ratissées, avec des plate-bandes bien fournies, mais on cherche en vain au bout de l’allée le bosquet touffu où se reposer de la poussière de la route et des bruits de la journée, comme on cherche en vain dans la plate-bande la fleur rare qui enivre de son parfum. La fleur naîtra peut-être, le bosquet s’élèvera quelque jour.

A-t-on oublié l’effet charmant que produisaient, dans le Caligula de M. Alexandre Dumas, ces deux jeunes Romains qui circulaient dans la tragédie, toujours appuyés l’un sur l’autre ? Si l’on se souvient de quelque particularité de ce drame malheureux, c’est de celle-là. L’amitié d’enfance qui se continue dans la jeunesse est une si gracieuse chose, que le spectacle en fait toujours plaisir, et que l’on pardonnerait presque à des jeunes gens, déjà vieux en amitié, d’écrire, ensemble de méchans vers. Or, MM. Laurent Pichat et Henri Chevreau n’en ont pas commis de semblables dans les Voyageuses. Ce livre a été écrit sur les chemins du monde par deux poètes de vingt ans qui mêlent leurs inspirations sans dire la part qui revient à chacun. MM. Pichat et Chevreau ont parcouru l’Italie, la Grèce et l’Égypte, laissant tomber des vers à chaque relais, car ils avaient la Muse en croupe, une muse douce et sérieuse qui a vécu dans l’intimité des Feuilles d’Automne et des Méditations. En courant des Pyramides au Parthénon, du Parthénon au Colysée, ne fût-on pas le moins du monde poète, il est vraisemblable qu’on le deviendrait un peu ; mais si on a entendu murmurer au fond de son cœur la voix de l’enchanteresse, où peut-on trouver de plus riches inspirations qu’aux bords du Nil, du Tibre ou de I’Eurotas ? Peut-être pour converser avec les grandes ombres de Rome et d’Athènes, pour les bien comprendre et leur donner à propos la réplique, faut-il avoir plus de vingt ans. Autrement on s’exposerait à rencontrer plus d’images éclatantes que de pensées profondes, et c’est ce qui est arrivé à nos deux voyageurs. Sur la foi de maîtres illustres, ils croient sans doute que toute antithèse est une pensée, et ils abusent singulièrement de cette figure. L’antithèse est sous chacun de leurs pas. Prenez garde, jeunes gens : Latet anguis !

M. Arthur de Gobineau ne va pas chercher ses inspirations au pied des Pyramides, ni dans le Forum ; il ne se déplace point, il prend seulement la peine d’aller de son fauteuil à sa bibliothèque, et là il s’adresse à cet éternel don Juan, dont il nous donne les Adieux en un poème dramatique. Si ces adieux sont définitifs, à la bonne heure ; mais il n’en sera rien, don Juan reviendra. Qu’il dise alors du nouveau, au moins, le débauché ; qu’il rajeunisse son thème, et que nous ne soyons point exposés à entendre encore un pâle et insignifiant écho de la grande voix. Qu’est-ce à dire ? les Adieux de don Juan ne seraient-ils qu’un écho, une vieille chanson sur un air connu ?