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journée effective se prolonge rarement au-delà de dix heures ; beaucoup d’artisans se reposent en outre le dimanche, le lundi et le mardi. Or, il est dans la nature de l’homme, dès qu’il obtient du loisir, de le consacrer aux plaisirs des sens, avant de songer aux plaisirs de l’esprit, et il se passera du temps, avant que la réduction ou l’intermittence du travail tourne au profit de l’intelligence des travailleurs.

Pénétrons plus intimement dans l’organisation de cette industrie. On sait que la puissance manufacturière, de l’autre côté du détroit, a suivi l’exemple de la propriété foncière, et qu’elle s’est constituée à l’état féodal. Une filature, une mine, un haut-fourneau est une véritable baronnie dont le propriétaire, commandité par les banques et gouvernant à l’aide des machines le feu et l’eau, a une autorité moins arbitraire, mais plus absolue, sur ses ouvriers que les seigneurs du moyen-âge sur leurs vassaux. Les ouvriers sont enrégimentés, et rien ne ressemble plus à une colonie militaire que ces colonies industrielles dont la manufacture est comme la citadelle, la cheminée de la machine le drapeau, et où le manufacturier, en admettant ou en excluant une famille, exerce indirectement, sur les membres qui la composent, le droit de vie et de mort. Là, les ouvriers, ne pouvant pas traiter avec les maîtres de puissance à puissance, ont recours au procédé universel des faibles et des opprimés : ils conspirent. L’aristocratie manufacturière est ainsi une espèce de despotisme tempéré quelquefois par des révoltes et tous les jours par des coalitions.

Les petits fabricans de drap qui habitent les campagnes voisines de Leeds et les districts septentrionaux du pays de Galles font déjà exception à cet état de choses, qui semble être en Angleterre la loi du travail, et qui se développe avec les progrès de l’industrie. A côté d’une démocratie rurale ainsi limitée et réduite à un tel isolement, on peut placer la démocratie urbaine de Birmingham et des environs, qui se recommande par des nombres plus imposans, et dont la constitution présente un sujet d’études plein d’intérêt. Pendant que les capitaux tendent à se concentrer dans la Grande-Bretagne, ils se divisent de plus en plus à Birmingham. L’industrie de cette ville, de même qu’en France la culture du sol, est descendue à l’état parcellaire. On y rencontre peu de grandes fortunes et à peine quelques grands établissemens. Certains manufacturiers opèrent avec un fonds de 10 à 20,000 francs ; la plupart n’ont pas plus de cinq à ouvriers, le maximum est généralement de cinquante par fabrique. En 1843, à une époque où les produits annuels de Birmingham atteignaient une valeur de 80 à 90 millions de francs, on supposait