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De pareils faits surprendraient moins en France. Nos commerçans ont des habitudes mesquines ; opérant sur de faibles quantités, ils se livrent trop souvent à des calculs étroits ; on les accuse d’avoir plusieurs prix, et de ne pas apporter dans les affaires cette franchise qui les simplifie. Pourtant nos places de commerce ou d’industrie ne présentent nulle part un brocantage comparable à celui qui est devenu en Angleterre l’état normal d’une industrie qui défie toute concurrence étrangère et qui exporte annuellement une valeur de 30 à 40 millions. Les manufacturiers de Sedan allouent, il est vrai, aux marchands des escomptes qui atteignent quelquefois la proportion de 21 pour 100 ; dans les articles de Paris, l’escompte varie depuis 15 jusqu’à 30 pour 100 ; mais c’est là l’extrême limite de l’abus. On peut s’étonner de le voir poussé bien plus loin, dans un pays comme la Grande-Bretagne, où le commerce a généralement tant de grandeur, où les marchands n’ont qu’un prix, et où les affaires les plus colossales se traitent sans ambages, sans finesses ni temps perdu, par oui ou par non ; mais l’industrie de Birmingham et des villes similaires est une exception à l’ordre général de cette société, et toute anomalie sociale se manifeste par de monstrueuses proportions.

Chez nos voisins, le travail, de même que la liberté, semble ne pouvoir se développer, que sous la tutelle d’une aristocratie fortement constituée. Cette aristocratie est souvent imprévoyante et quelquefois oppressive : elle ne remplit pas toujours le rôle providentiel que ses membres ont accepté ; partout cependant où son autorité ne se fait pas sentir, l’anarchie commence. Bon ou mauvais, il n’y a d’ordre possible dans la Grande-Bretagne que celui qu’elle établit. C’est un pays où il vaut encore mieux être serf qu’affranchi. L’industrie britannique, bien qu’elle soit l’apanage d’un petit nombre de familles, présente le spectacle d’une concurrence intérieure qui excède à coup sûr les besoins, du progrès et du bon marché. Que serait-ce donc si les barrières qui arrêtent la foule à l’entrée de cette carrière ardue allaient s’abaisser ? Si la production, dans l’état actuel, est en avant de la consommation, mise à un régime démocratique, elle encombrerait les entrepôts et réduirait les prix à rien à force de les avilir. Ajoutons que les grands capitalistes dans leurs rivalités ne mettent pour enjeu que leur fortune, tandis que les petits, comme le marchand de Shakspeare, jouent leur chair et leur sang. Il n’y a pas assez de modération dans le caractère anglais pour l’état démocratique. La démocratie ne convient ni aux peuples sensuels qui prennent le plaisir pour but de vie, ni aux nations naturellement avides et dont l’ambition ne connaît