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égale dit-on, le talent ; la première femme d’ailleurs qui à Madrid se soit ainsi aventurée en pleine poésie dramatique. Les drames et les tragédies se succèdent rapidement dans les théâtres de l’Espagne ; Mais le public madrilègne n’en est pas pour cela plus blasé. La seule annonce d’une représentation importante imprime une physionomie toute particulière à la bonne ville des Alarcon et des Tirso de Molina ; c’est là pour elle une fête véritable dont il peut être curieux de décrire les principaux incidens.

Le 13 juin dernier, en dépit de la chaleur étouffante que les vents d’Andalousie apportaient à Madrid par-dessus les montagnes de la Sierra-Morena, la vieille capitale de l’Espagne avait pris un air d’animation tout-à-fait extraordinaire. Au premier aspect, comme la jeunesse entière était sur pied, on se fût attendu peut-être à une émeute ; mais en regardant de plus près, on voyait bien qu’il s’agissait de tout autre chose que d’un pronunciamiento. Les nouvelles de province étaient aussi bonnes qu’on le pouvait souhaiter ; c’était au plus si, à Murcie ou Séville, une douzaine de conspirateurs avaient été placés sous la main du chef politique, et l’on n’avait guère passé par les armes que cinq ou six factieux dans les âpres déifiés du Maeztrago. Il est vrai que la veille les créanciers de l’état s’étaient quelque peu récriés à la bourse ; mais on était loin d’en concevoir la plus légère inquiétude : les menace de financiers ne sont pas des menaces de guerre ; on savait bien, après tout, que les capitalistes ne peuvent pas vouloir de révolutions. Des groupes parés de cavaliers en gants jaunes et de jeunes élégantes en mantilles se formaient au Prado et sous les auvens bariolés des plazuelas qui avoisinent les théâtres. A mesure que s’avançait la journée l’émotion prenait toutes les allures de l’impatience. Les amphithéâtres de l’Athénée étaient déserts ; M. Alcala-Galiano ou M. Martinez de la Rosa en personne serait remonté dans sa chaire, qu’il eût fort risqué de n’avoir pas un seul auditeur. Si les cortès avaient tenu séance, députés et sénateurs auraient sûrement quitté avant trois heures l’enceinte parlementaire ; cela s’est toujours vu quand il a été question pour les députés et les sénateurs de prendre part à une grande solennité littéraire, même à l’époque où les guérillas de Gomez et de Guergué poussaient jusqu’à la Granja, même en décembre 1843, au moment où M. Olozaga défendait si énergiquement sa vie et son honneur à la tribune du congrès. Dans le Casino, pas un publiciste, pas un poète autour des journaux de France, et il en était absolument de même dans tous les lieux de réunion où les jeunes hommes politiques viennent, le soir, exposer, entre le sorbet et l’orange, leurs