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de Navarre ont repris le chemin de leurs montagnes, et que, par les soins de Berenguela elle-même, leur mariage va s’accomplir. La digne fille d’Alfonso fait d’abord résistance ; mais l’amour du prince est si éloquent, ses prières si vives, qu’elle se laisse persuader. Comme à l’époque où le prince pouvait l’aimer et le lui dire sans que la Castille eût le droit de lui en faire un crime, Fronilde accepte l’amour de Sancho et y répond avec franchise, quand tout à coup une main nerveuse, armée d’une épée, écarte les tapisseries qui forment sous la tente l’appartement de Fronilde. : c’est Munio, qui, trompé par des serviteurs trop zélés, s’imagine que le prince a déshonoré sa fille ; c’est Munio qui maudit Fronilde, et, tout en la maudissant, lui plonge son épée dans le cœur. Don Sancho lui-même tomberait sans doute sous ses coups, si des soldats, accourus au dernier cri de sa fille mourante, ne s’empressaient de le désarmer. Sous les imprécations du vieux comte, don Sancho revient peu à peu de la stupeur où l’a jeté une si brusque péripétie ; en quelques paroles énergiques, il justifie Fronilde et se justifie lui-même. C’est en vain que Munio se précipite sur le sein de Fronilde pour arrêter avec ses lèvres le sang qui coule de la blessure ; Fronilde a expiré déjà. L’infortuné père se relève et pleure ses premières larmes ; de tous côtés, il cherche une arme pour se percer le cœur à son tour. Comme il s’abandonne à son désespoir, une immense clameur se fait entendre au camp et dans la ville ; à la nouvelle de la rupture survenue entre Castille et Navarre, les Maures ont repris courage ; aussi rapides que le vent d’Afrique, ils se portent à la fois sur Léon et Tolède ; les rauques fanfares de leurs trompettes ont donné le signal de l’attaque ; le cri de défi des Almoravides retentit au pied des remparts. Munio voulait se tuer, mais il comprend qu’à deux pas de sa fille morte, une autre fin lui est réservée, plus digne de lui et de sa race. Suivi de ses chevaliers, il quitte sa tente et s’élance au-devant de la mort, que don Sancho trouvera bientôt, lui aussi, dans les regrets amers et dans les ennuis de la royauté.

Si nous avons réussi à indiquer les situations principales de ce drame et à montrer comment de scène en scène l’intérêt y grandit et s’y développe, on en peut d’un seul coup d’œil apercevoir les qualités réelles et les plus notables défauts. Au point de vue rigoureusement historique, on est en droit de reprocher à l’auteur d’avoir dénaturé les caractères de l’infant don Sancho et de la reine Berenguèle ; mais au fond, comme l’un et l’autre ne cessent point un instant, malgré leurs faiblesses et leurs fautes, d’inspirer une sympathie véritable, c’est là une critique sur laquelle nous ne voulons point appuyer. Nous préférons