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moi bien entendre les défis de leurs clairons ! Que toutes les tribus infidèles se liguent contre Léon et Castille ! Oh ! ma noble épée, tombons ; tombons sur elles comme la faux aiguë sur les épaisses moissons. Pas de murailles, pas de boulevards qui les puissent protéger contre nos assauts ; poursuivons-les, don Sanche, dans les recoins des vallées et par les campagnes, à travers les mers, dussent-elles nous conduire aux extrémités de la terre ! Ah ! comme le champ de bataille est vaste, et comme il est beau pour un vrai Castillan ! Qu’il sera beau, le carnage !… Il faut des victimes à la douleur qui pénètre la moelle de mes os ; cette main qui s’est trempée dans le sang de ma fille, c’est dans le sang sarrasin que je la dois laver ! »


Ici, on entend le son aigre et prolongé des cymbales chrétiennes ; les tapisseries de la tente s’écartent ; sans aucun doute, les escarmouches ont recommencé dans les plaines ; au loin, parmi les drapeaux de Castille, vous diriez que l’on aperçoit déjà, s’inclinant et se relevant tour à tour, les bannières des musulmans. Arrivé au paroxisme de la douleur paternelle et de l’exaltation guerrière, don Alfonso s’élance d’un bond sur le devant de la scène ; puis, brandissant son pênnon, que vient d’apporter un écuyer :


« Oui, tu seras glorieuse, Castille ! On tremblera un jour dans le monde, quand les lions, de ton drapeau hérisseront leurs crinières ; et leurs rugissemens se feront entendre aux territoires les plus lointains. Munio doit périr, et après lui, pendant long-temps après lui, bien des soldats, bien des chevaliers, bien des rois invincibles… Mais qu’importe, pourvu qu’ils te laissent triomphante, pourvu que dans le monde que t’aura conquis leur bravoure, dans le monde espagnol, le soleil ne se couche jamais ?… - Dors en paix, ô fille de mon sang et de mon cœur ! Moi-même, après le combat, je ne pourrai pas offrir à ta tombe l’holocauste expiatoire qu’elle réclame… Quand mes hommes d’armes me rapporteront ici tout sanglant et enveloppé dans ma bannière, fais-moi place auprès de toi ! ô ma fille ! permets que l’on jette sur le corps de ton père un peu de la terre qui te recouvrira ! »


Pour faire connaître la manière de la señorita Gomez de Avellaneda, nous avons, en conservant de notre mieux l’éclat des couleurs et l’impétuosité du rhythme, traduit les passages dont notre goût se peut le moins étonner, et encore craignons-nous bien que l’on ne retrouve là toutes les invraisemblances, toutes les emphases de la déclamation. Dans la prose française, cela est possible, mais non certes dans le vers castillan. Rien de plus naturel, rien de plus vrai que ces images de sang et de mort, de désolation et de guerre, quand elles sont revêtues de ce dialecte magnifique tout formé, comme on sait, de feux et de rayons. On a prétendu que l’ampleur majestueuse était