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Tu tombas dès l’enfance, et, dans la folle Grèce,
Un vieillard t’enivrant de son baiser jaloux
Releva le premier ta robe de prêtresse,
Et, parmi les garçons, t’assit sur ses genoux.
De ce baiser mordant ton front porte la trace ;
Tu chantas en buvant dans les banquets d’Horace,
Et Voltaire à la cour te traîna devant nous.

Vestale aux feux éteints ! les hommes les plus graves
Ne posent qu’à demi ta couronne à leur front ;
Ils se croient arrêtés, marchant dans tes entraves,
Et n’être que poète est pour eux un affront.
Ils jettent leurs pensers aux vents de la tribune,
Et ces vents, aveuglés comme l’est la fortune,
Les rouleront comme elle et les emporteront.

Ils sont fiers et hautains dans leur fausse attitude,
Mais le sol tremble aux pieds de ces tribuns romains.
Leurs discours passagers flattent avec étude
La foule qui les presse et qui leur bat des mains ;
Toujours renouvelé sous ses étroits portiques,
Ce parterre ne jette aux acteurs politiques
Que des fleurs sans parfums, souvent sans lendemains.

Ils ont pour horizon leur salle de spectacle ;
La chambre où ces élus donnent leurs faux combats
Jette en vain, dans son temple, un incertain oracle,
Le peuple entend de loin le bruit de leurs débats ;
Mais il regarde encor le jeu des assemblées
De l’œil dont ses enfans et ses femmes troublées
Voient le terrible essai des vapeurs aux cent bras.

L’ombrageux paysan gronde à voir qu’on dételle,
Et que pour le scrutin on quitte le labour.
Cependant le dédain de la chose immortelle
Tient jusqu’au fond du cœur quelque avocat d’un jour.
Lui qui doute de l’ame, il croit à ses paroles.
Poésie, il se rit de tes graves symboles,
O toi des vrais penseurs impérissable amour !