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vif ! Oh ! alors, s’il en était ainsi, nous ne saurions plus comment nommer cette politique. M. Guizot et M. de Cormenin nous sembleraient d’accord pour le but, en agissant par des moyens différens ; et la discussion un le choix des moyens ne serait peut-être pas à l’avantage de M. Guizot. Que croire cependant ? Ce n’est pas nous, tout le monde le sait, qui inventons de pareilles suppositions. Pour nous, M. Guizot est toujours un admirable orateur, qui honore la France par un talent de tribune que l’on ne peut plus louer, et devant lequel s’inclinent ses ennemis même. Il a rendu au pays de grands services : ce n’est pas nous qui voudrions imprimer cette tache à son caractère ; mais le bruit que nous racontons, ce sont ses confidens eux-mêmes qui le répandent. Ils le disent à l’oreille pour qu’on le répète tout haut. Étrange préoccupation de l’amour-propre ! Ils se croiraient humiliés si M. Guizot, comme tant d’autres, eût fait tout simplement une bévue. Au lieu d’une faute, ils aiment mieux lui attribuer une mauvaise action, que l’on a caractérisée nettement par ces deux mots : honte et profit. Avouons que les ministres ont eu de tout temps des amis bien maladroits.

Puisque nous avons parlé de perfidie ou de quelque chose qui y ressemble, nous ne pouvons laisser de côté cette mystérieuse affaire de la dotation sans dire quelques mots d’une ruse assez savamment concertée dans le but d’alléger le fardeau de la responsabilité ministérielle, et de faire peser une solidarité apparente sur des hommes que le cabinet ou ses amis veulent compromettre dans l’opinion, parce qu’ils ont le malheur de lui porter ombrage. Il va sans dire que l’on a fait circuler avant tous le nom de M. le comte Molé. On a fait entendre qu’il avait reçu d’augustes confidences sur la mesure, et qu’il avait tout approuvé. Personne, heureusement, ne refuse à l’ancien président du 15 avril, à part ses autres qualités éminentes, un jugement rare et une certaine finesse unies à une parfaite loyauté. On sait en outre qu’il ne passe pas dans le monde pour être épris d’un sentiment trop vif en faveur de M. Guizot, le chef et l’orateur fougueux de la coalition. Tous ces motifs réunis démontrent que, si M. Molé a connu l’article du Moniteur avant la publication, il l’a blâmé. De sa part, craindre de blesser M. Guizot dans cette circonstance, c’eût été vraiment pousser un peu trop loin la charité chrétienne et l’oubli des injures ; d’ailleurs la loyauté de l’illustre pair lui faisait un devoir d’éclairer la couronne sur le piége tendu à sa confiance. Voilà pour M. Molé. On a parlé aussi de M. Dupin ; mais l’honorable et irritable député, qui savait, avant de monter à la tribune, les bruits que l’on faisait courir sur lui, s’est expliqué trop catégoriquement sur le chapitre de la dotation pour qu’on puisse lui supposer la plus petite part dans la conduite de cette affaire. Ainsi, en ce qui concerne M. Dupin et M. Molé, le ministère a perdu son temps ; mais il s’est montré plus habile en faisant intervenir le nom de M. de Montalivet : le mensonge offrait ici du moins quelque vraisemblance. En effet, comment supposer, à la première réflexion, que l’intendant général de la liste civile n’ait pas connu le plan du ministère sur la dotation ?