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occupé à se circonscrire, ne s’élève à aucun de ces points de vue qui domineraient le sujet. Il voit net, mais il ne voit que de près ; il s’interdit les horizons. Cette impression que j’essaie de rendre se reproduira plus d’une fois en lisant de lui certaines pages politiques et philosophiques ; on aura à s’étonner, à regretter qu’un aussi excellent esprit ait ainsi contracté l’habitude de se restreindre. Sa pensée a quelque chose de trop rentré. La qualité littéraire et de diction y trouve sans doute son compte, et elle y gagnera sur plus d’un point en finesse de repli, en concision malicieuse.

On a relevé ce passage du discours de Berlin dans lequel le jeune auteur semble faire un retour secret sur la condition religieuse à laquelle il est lié ; il s’agit de savoir jusqu’où s’étendra le pouvoir des parens sur les pactes de ceux qui sont en leur puissance : « Le plus cruel abus, écrit M. Daunou, c’est de forcer les enfans à des pactes, vœux ou mariages, auxquels leurs penchans répugnent. Lorsqu’on examina sérieusement si celui que la dévotion de son père a fait moine est tenu à ne point quitter ce genre de vie, l’ignorance et la superstition avaient effacé toute idée d’ordre et de justice[1]. »

Quoi qu’il en soit de cette sorte d’allusion personnelle où il ne faut voir peut-être qu’un trait de hardiesse philosophique sans autre intention, M. Daunou ne saurait passer aucunement pour avoir été malheureux dans l’Oratoire. Au moment où la révolution éclata, une fièvre d’enthousiasme saisit toutes les jeunes têtes, fit battre tous les jeunes cœurs ; on se dit qu’on allait trouver enfin la délivrance, et on s’imagina par conséquent que, la veille encore, on était nécessairement très opprimé. On l’était bien légèrement au contraire, et il ne fallut point beaucoup de temps à M. Daunou pour le reconnaître. Ces mêmes années de Montmorency, qui lui semblaient peut-être un peu gênées lorsqu’il en prolongeait le cours, lui offrirent en s’éloignant, et lorsqu’il les revoyait du sein des orages, une sorte de perspective idéale de la paix abritée et du bonheur. Combien de fois, causant avec lui sur les conditions d’une existence heureuse, studieuse, socialement agréable et sérieuse à la fois, agitant en sa présence les diverses époques où l’on aurait aimé à vivre, il m’exprima son choix sans hésiter ! Le cadre d’existence qui lui aurait le plus souri et auquel il serait revenu comme à son berceau eût été le XVIIIe siècle embrassé dans tout son cours, et trouvant son terme avant la révolution : on serait né vers la fin de

  1. Il faut noter pourtant que les mots soulignés ici le sont chez M. Daunou également, et qu’il les donne à titre de citation connue : c’est de Rousseau, je crois.