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aussi parfaite, dans toutes les préfaces et dans tous les programmes d’alors. Nous touchons là du doigt la grande erreur et l’illusion philosophique de la fin du XVIIIe siècle. Nous n’en voudrions d’autre preuve que ce qui en est sorti d’effets en plus d’un genre. Qu’il puisse y avoir beaucoup de vrai dans ces prescriptions d’analyse, Joseph de Maistre n’a pas assez d’éclats de voix ni de sifflets pour le nier ; nous dirons simplement que l’erreur est d’y mettre tout, de croire que la méthode crée l’esprit et que le mot garantit l’idée, de passer le niveau sur les facultés humaines et d’en supprimer le jet naturel, de méconnaître, non pas seulement ce que le génie, mais ce que le bon sens apporte volontiers de libre et de vif avec lui. C’est assez indiquer ce que chacun sent, car nous ne péchons point par un tel genre d’excès aujourd’hui.

Judicieux esprit qui n’avait nul besoin d’exagérer l’instrument prétendu infaillible, Daunou n’a jamais cru pouvoir s’en passer ; il en a dissimulé du moins plus d’une fois les inconvéniens, varié l’emploi et dirigé les applications aux plus justes, objets. « Il est maître en fait de méthodes, » a dit M. Mignet. Cet esprit d’ordonnance et de classification ; il le porte en toutes choses, dans la création de l’institut dont il est l’un des fondateurs, plus tard dans les bibliothèques qu’il administre, dans les Archives qu’il organise. Ainsi, dans l’ordre des études et des idées : on pourrait dire qu’héritier fidèle, et en un sens héritier pieux des richesses d’un siècle dont il égalait presque la tâche à celle de l’esprit humain, il aima mieux classer que renouveler.

Comme écrivain, un inconvénient se marque toutefois. Sa plume excellente et correcte, et de plus si faite pour les délicatesses, pour les finesses de l’art d’écrire, s’empêche par instans tout d’un coup, s’appesantit et s’attarde dans ces prescriptions méthodiques qui reviennent plus qu’il ne faudrait. Elle redit, elle prolonge, elle ne parvient pas à recouvrir ce qu’il est impossible de fertiliser. En un mot, une barrière assez marquée sépare à certaines pages le classique Daunou des grands et parfaits écrivains du XVIIe siècle, je veux dire ce culte sans cesse proclamé de l’analyse et tout ce qu’il suppose avec lui.

Pour revenir à ses travaux de la Convention en cette année 93, il dira, par exemple, en parlant du vaste bouillonnement de passions qui ne doit pas déconcerter le législateur, « qu’il faut que celui-ci fasse, en quelque sorte, un cours expérimental de l’immoralité publique ; que, dans un temps calme, les élémens divers de la société ne donnent à la philosophie elle-même que des sensations trop obscures, et l’on a besoin, ajoute-t-il, d’en recevoir de vives pour acquérir