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Parmi les opinions arrêtées de Daunou qui en avait tant, on n’en aurait pas trouvé de plus fixe et de plus justifiable assurément que celle qu’il s’était formée de la Terreur, des principaux personnages qui y figurent, et particulièrement de Robespierre. Ce n’était point parce qu’il avait été victime qu’il jugeait ainsi : il savait établir la différence entre les hommes d’alors, faire la part de la lâcheté, de l’ineptie, du fanatisme ; mais sur Robespierre il était curieux et inexorable à entendre ; le burin de Tacite, pour un instant, avait passé en ses mains. Dans un journal de Mercier, les Annales patriotiques et littéraires, Daunou rédigeait le compte rendu (anonyme) des séances de la Convention. Or, voici en quels termes dignes de mémoire il s’exprimait le 18 nivôse an III (7 janvier 1795), à l’occasion du rapport fait par Courtois au nom de la commission chargée d’examiner les papiers de Robespierre : « Un tempérament bilieux, écrivait Daunou, un esprit étroit, une ame jalouse, un caractère opiniâtre, avaient prédestiné Robespierre à de grands crimes. Ses succès de quatre années, surprenans sans doute au premier aspect, et lorsqu’on ne les compare qu’à la médiocrité de ses moyens, ont été les effets naturels de ses haines meurtrières, de ses jalousies, profondes et ferventes. Il eut, à un degré suprême, le talent de haïr et la volonté de maîtriser. Il voulut être tyran, bien plus ardemment que la plupart des hommes, ne savent vouloir être libres, et cette volonté vive, inflexible, toujours agissante, a tenu lieu de génie à bien d’autres oppresseurs de l’humanité… » Je suis forcé, à mon grand regret, d’abréger cette page pour laquelle j’ai presque à demander pardon aux néo-terroristes d’aujourd’hui ; mais voici l’adoucissement : « Quelque affreux que soit Robespierre, d’après le portrait que nous en avons tracé, continue Daunou, Courtois a fait de ce personnage un portrait beaucoup plus horrible encore, et s’est attaché surtout à lui contester toute espèce de talent. Nous convenons que Robespierre n’a été ni un philosophe, ni un législateur, ni un éloquent écrivain, ni même un orateur supportable : il avait infiniment peu de connaissances, et il était d’ailleurs trop occupé à haïr pour avoir le temps de penser. Nul talent ne lui manqua davantage que celui d’improviser : si l’on excepte une ou deux occasions où il fut assez heureusement inspiré par ses affections vindicatives, tout ce qu’il a dit sans préparation n’a été que le plus insensé verbiage que l’on ait entendit sur la terre, depuis que des paroles et des phrases y sont proférées par des hommes et par des oiseaux : personne, autant que lui, n’a contribué à effacer parmi nous jusqu’à l’idée de la véritable éloquence des tribunes. A l’égard