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il n’avait pas non plus le sentiment de l’art en grand, l’idée passionnée de l’œuvre, de l’œuvre individuelle et originale, du monument. L’étude et des articles bien faits, enfouis dans de gros recueils, suffisaient à son soin modeste ; il y avait à cet égard du bénédictin en lui.

Le bénédictin aussi avait des jours de soleil. Le rôle de Daunou à l’institut, dès l’origine et lors de la formation, fut des plus marquans ; son nom sans faste n’échappa point aux honneurs du frontispice : c’est lui qu’on chargea de prononcer le discours d’ouverture à la première séance publique, à celle d’installation (avril 1796). Il s’y montra tout-à-fait à la hauteur de sa mission et parla comme le pouvait faire le premier élève politique et philosophique de Sièyes et de Condorcet, et plus littéraire que tous deux, plus maître en l’art, d’écrire, véritable secrétaire perpétuel et comme rédacteur testamentaire du XVIIIe siècle finissant. Dans ce grave discours encyclopédique, un certain souffle d’espérance circule : « Les orages mêmes que nous venons de traverser, ce vaste ébranlement, ces désastres dont le souvenir doit être interdit à la vengeance, et ne doit pas être perdu pour l’instruction, deviendront sans doute aussi une grande époque dans l’histoire de l’esprit humain. » L’enthousiasme n’y est plus retranché, proscrit, comme nous l’avons vu en d’autres endroits de Daunou ; il dit de la philosophie, en indiquant ses relations et son alliance avec les beaux-arts : « Elle sentira tout le prix, de l’enthousiasme qu’ils propagent et sans lequel il ne s’est opéré rien d’utile et de grand sur la terre. Si, dans les sciences même les plus sévères, aucune vérité n’est éclose du génie des Archimède et des Newton sans une émotion poétique et je ne sais quel frémissement de la nature intelligente, comment, sans le bienfait de l’enthousiasme, les vérités morales saisiraient-elles le cœur des humains ? Comment circuleraient-elles privées de ce véhicule ; comment, dénuées de cette chaleur animatrice, pourraient-elles, au sein d’un grand peuple, se transformer en des sentimens, en des habitudes, en des mœurs, en un caractère ? Que deviendraient tant de maximes sociales, tant de généralités abstraites, si les beaux-arts ne s’en emparaient pas pour les replonger dans la nature sensible, les rattacher aux sensations d’où elles dérivent, et leur redonner ainsi des couleurs et de la puissance ? » Les sensations se retrouvent là pour fixer la date et signer la théorie, mais le mouvement est juste et beau.

Deux ans après, le 18 septembre 1798 (fin de l’an VI), Daunou, président du Conseil des cinq-cents, répondait au nom de l’assemblée a une députation de l’Institut qui venait à la barre rendre compte de