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le citoyen Daunou, membre de l’Institut national, et chargé par lui de faire le panégyrique du héros, s’avança, tenant à la main aussi sa branche de laurier, et parla sur les degrés du mausolée : « … Oui, nous la conserverons, la République, s’écriait-il en finissant, nous la conserverons, pour qu’elle soit le temple de ta mémoire, l’asile de ton vertueux père, et la gloire de tous les guerriers qui l’ont défendue comme toi. Nous repousserons la Terreur qui t’opprima, comme le royalisme qui te proscrivit, et nous maintiendrons cette Constitution de l’an III, qui fut le constant objet de ton dévouement, de tes vœux, de tes espérances ; nous saurons, à ton exemple, résister aux factions, braver les périls, et ne connaître sur la terre d’autres puissances irrésistibles que celles devant qui seulement a pu fléchir ton ame républicaine : la loi, la vertu, la nécessité et la mort. »

Daunou me paraît représenter très bien l’éloquence d’alors, celle de l’an III dans son meilleur ton, caractère romain, style latin (Conciones), marche un peu lourde, très grave du moins, ferme, nombreuse, un rare éclat, mais qui frappe d’autant plus, un air stoïque : des Latins, si l’on veut, qui ont eu leur Condillac, mais qui sont d’un bon siècle encore. Lorsque, plus tard, le Consulat se lèvera dans sa gloire, quand le génie du XVIIe siècle reparaîtra de loin sur l’horizon, et que l’éloquence, comme le ciel, s’éclairera, on aura l’Éloge de Washington et Fontanes.

Une question inévitable se pose ici : à voir ce grand rôle extérieur de Daunou depuis thermidor, cette mise en dehors perpétuelle de ses talens et de sa personne, on se demande : était-ce donc bien là, en vérité, le même que ce savant renfermé et ce politique circonspect que nous avons connu ? N’y avait-il pas en lui, durant ces années, un homme jeune, énergique, espérant, dont le ressort, à un certain moment, s’est brisé ou resserré du moins, et dont nous n’avons guère vu que l’homme d’étude survivant qui s’était à la fin comme recloîtré ? J’ai déjà indiqué l’opinion de M. Magnin, qui pense que, même en sa plus libre et sa plus énergique allure, le Daunou d’alors était très près de ressembler à celui que nous savons. Quelques faits toutefois permettront le doute un moment.

Lorsque ses illusions républicaines eurent été attérées et anéanties : par l’ambition de Bonaparte, après l’élimination du Tribunat, après la suppression de la classe des Sciences morales et politiques, vers 1803-1804, Daunou, profondément affecté, se croyant de plus menacé dans sa place de bibliothécaire par suite de tracasseries avec son collègue Ventenat, fit une maladie grave, une de ces maladies nerveuses