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le rôle de chef de parti. Il disait dès-lors, en raillant le ministère vhig, souvent condamné à voir ses mesures complètement remaniées par les chambres, que, quant à lui, il ne garderait pas une minute le ministère, du moment où les réalités du pouvoir lui échapperaient. Il tint sa parole en 1838 à l’égard de la couronne, lorsque, pendant la crise ministérielle suscitée par le bill de la Jamaïque, il mit pour condition à sa rentrée au pouvoir le renvoi des dames d’honneur de la reine : il vient de la tenir deux fois de suite cette année contre ses amis on sait avec quelle fière énergie, en les forçant à rétracter leurs votes coup sur coup.

Telle est donc la situation du parti tory, que, dénué d’un symbole commun qui serve de garantie solidaire à tous les intérêts qu’il renferme, il voit ces intérêts abandonnés et comme suspendus à la discrétion, au pouvoir arbitraire du chef qu’il s’est choisi. « A la faveur d’un tel état de choses, dit M. d’Israeli, les chefs peuvent bien faire servir leur position élevée à obtenir du pouvoir pour leur satisfaction personnelle, mais il est impossible d’assurer à ceux qui les suivent ce qui doit être après tout la grande récompense d’un parti politique, à savoir la réalisation de leurs opinions. » On conçoit, dans une situation semblable, l’anxiété des intérêts qui se croient menacés, l’inquiétude et les murmures des esprits remuans qui sentent leur activité paralysée et leur initiative enchaînée. On comprend que ces esprits recherchent des principes communs qui planent sur les chefs comme sur le parti, et qui soient à la fois pour celui-ci une garantie d’indépendance et un gage de sécurité.

C’est là précisément la préoccupation qui anime les intelligences distinguées réunies dans le groupe de la jeune Angleterre. Sont-elles avancées dans leur poursuite ? ont-elles trouvé les vrais principes du torysme ? Nous posons ces questions sous forme dubitative, parce que nous croyons que plusieurs au moins des membres de la jeune Angleterre n’acceptent pas Coningsby comme l’expression de leur pensée, et sincèrement nous les en félicitons : par la légèreté flottante et le vague contradictoire de ses conclusions, que met en saillie le ton prétentieux et vain dont elles sont jetées, Coningsby ne pourrait manquer de nuire à la considération politique de la jeune Angleterre.

Comment concevoir en effet que M. d’Israeli, qui accuse avec tant de sévérité sir Robert Peel de livrer les intérêts de ses amis, qui lui reproche l’incertitude de sa politique, émette lui-même sur les principales questions qu’il effleure des opinions directement opposées aux principes et aux intérêts jusqu’à présent connus et avoués du torysme ?