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morales dans leur liaison nécessaire, on ne peut méconnaître que toutes dépendent logiquement de celle qui s’enquiert des principes du vrai, du juste et du beau, et que celles-là surtout qui traitent de l’intelligence et de la volonté de l’homme relèvent de la philosophie. A cet enchaînement logique, notre siècle a ajouté le fait d’une influence positive et réciproque. En faisant tomber les barrières de la tradition, il a permis à la philosophie de produire ses conséquences naturelles. La raison libre a dû sortir son plein et entier effet, et il est maintenant peu de choses qui se touchent dans la théorie sans se modifier entre elles dans la pratique. L’intellectuel est devenu le réel, et l’homme fait le monde à l’image de sa pensée. Qui donc voudrait aujourd’hui avoir des opinions spéculatives pour les laisser isolées et stériles dans son esprit, comme l’algèbre ou le sanscrit ? Quel homme sérieux voudrait d’une philosophie qui ne se lierait point à la religion, à la morale, à la politique, à la théorie des arts ? Il n’y a plus de métaphysique de pure curiosité, et celui qui s’est élevé jusqu’aux principes prétend aujourd’hui redescendre aux applications et projeter la lumière du flambeau intérieur sur les routes où l’entraîne sa destinée : heureux : s’il parvient à établir une constante harmonie entre les idées de sa raison et les règles de sa conduite. Pour les individus comme pour la société le grand effort est en effet de mettre d’accord la science et la réalité, et c’est à cela que tendent nos révolutions.

Cette précieuse unité, l’ambition de tout noble cœur, M. Jouffroy travailla constamment à l’établir en lui-même, et il y parvint autant que le lui permirent et la brièveté de sa vie et les agitations de son ame. Jamais il ne sépara la philosophie de ses nobles et utiles corollaires. Cet esprit méditatif et recueilli s’enferma souvent dans une question spéciale et parut se détacher du reste du monde ; mais il ne prononça jamais de vœux irrévocables, et revint sans cesse à ces généralités pratiques qui, mieux encore que de pures idées, constituent les opinions réelles d’un homme ou d’une époque. Ce ne serait donc pas le faire connaître tout entier que d’exposer ses recherches sur la perception ou l’induction, que d’essayer une analyse, même complète, de ses idées sur l’objet et le rang de la psychologie de rédiger un extrait raisonné de tous ses écrits. C’est l’affaire de l’historien de la philosophie ; nous aimerions mieux tracer l’histoire du philosophe, non pas une biographie cependant, les élémens n’en sont pas dans nos mains, mais un tableau successif du développement de ses opinions. A l’intérêt d’un tel récit, quand il s’agit d’un homme distingué, se joindrait l’intérêt plus vif encore qui s’attache à la formation de l’esprit général