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de toutes les anxiétés du doute et de l’ignorance.. Son esprit était exigeant et difficile, son cœur inquiet et troublé, et il invoquait la philosophie au moment où elle se cherchait encore elle-même. Obscures et ambigus, les réponses de l’oracle ne changèrent point l’état de son ame, état douloureux qu’il a décrit dans quelques pages vraiment éloquentes, que toutes les sortes de fanatismes ont à l’envi défigurées[1]. Un fragment où il raconte ses débuts dans l’étude de la philosophie, où il retrace avec beaucoup de sagacité et de chaleur ces premières épreuves de la raison, bien connues de quiconque prend au sérieux les idées et s’inquiète de la vérité, a été publié depuis sa mort, et dans cette confession, qui rappelle à la fois saint Augustin et Rousseau, l’esprit de parti a cherché des armes contre lui, contre ses amis, contre l’Université, contre la philosophie. Aveux étranges en effet ! révélation monstrueuse ! Quoi ! M. Jouffroy à vingt ans n’avait pas ses croyances arrêtées ! M. Cousin presqu’au même âge n’était point parvenu à enseigner une philosophie complète et définitive. L’École normale était l’asile d’esprits consciencieux et ardens qui cherchaient péniblement la foi et la science ! Enfin il paraît prouvé que la philosophie est une initiation laborieuse à la vérité, et qu’elle a comme l’humanité, comme le monde, des problèmes qui accablent et tourmentent l’intelligence ! Voilà, certes, un beau sujet d’étonnement, et jamais l’indignation ne fut plus légitime !

Parlons aux hommes sincères et sérieux. La philosophie n’est point une inspiration soudaine, ce n’est point l’œuvre d’un jour, mais l’acquisition lente de la vérité par la raison. C’est la pensée recherchant sa nature, retrouvant ses lois, raffermissant ses bases et s’élevant par degrés à la possession réfléchie de la science. Or cette science ne suffit qu’à celui qui en a tout à la fois reconnu les fondemens et les limites, et qui, sans être plus troublé de ses lacunes qu’ébloui de ses lumières, accepte les immuables conditions de l’esprit humain, et n’exagère ni la confiance dans ce qu’il sait, ni la résignation à ce qu’il ignore. Comme l’homme de la grace, l’homme de la raison a tout ensemble sa dignité et son humilité ; l’union de la connaissance et de l’ignorance est en une certaine mesure le terme nécessaire de la philosophie comme de la religion. Seulement le philosophe s’abaisse sous la volonté de Dieu telle que sa propre nature la lui manifeste, et le chrétien sous la volonté de Dieu telle que la lui révèle une autorité extérieure.

  1. De l’Organisation des sciences philosophiques, seconde partie. — Nouveaux Mélanges philosophiques, p. 111.