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M. Jouffroy. La première vérité de la science comme la première règle de la méthode, c’est que l’observation de soi par soi ou la conscience attentive est la source de la certitude. Tout système est donc faux ou fragile qui ne se fonde pas sur une connaissance exacte de l’esprit humain par lui-même interrogé. Toute métaphysique séparée de la psychologie est hasardée ou suspecte, conséquemment sans autorité légitime. Cependant comme l’esprit humain ne peut trouver que dans la conscience ce qu’il conçoit de lui-même, jamais ce qu’il en conçoit ne saurait être absolument fictif, essentiellement faux. C’est au moins et nécessairement un fait de conscience, et l’erreur n’est pas de l’admettre, mais de l’admettre seul, et d’en exagérer les conséquences ou de le généraliser à l’exclusion de tout le reste. D’où il résulte que le faux n’est que le partiel, ou qu’il n’y a point d’erreur complète. Tout système est un fragment de la vérité. Or, la condition de la connaissance de la vérité étant l’observation qui n’exclut rien, on ne peut apprécier tous les systèmes qu’en les rapportant à l’observation, ni contrôler l’exactitude de l’observation que par la revue de tous les systèmes. Ils doivent contenir tout ce qu’elle constate ; elle doit donner tout ce qu’ils renferment. C’est ainsi que les recherches psychologiques éclairent l’histoire de la philosophie, qui les éclaire à son tour.

De ces deux idées qui se balancent et se répondent, M. Cousin avait saisi l’une comme la plus vaste, et partant celle qui était le mieux à sa mesure. M. Jouffroy sembla préférer l’autre, qui supposait un regard attentif, une vue perçante, toutes les patientes qualités d’un grand observateur. L’un sut tout embrasser, l’autre s’efforça de tout pénétrer, et tous deux contribuèrent puissamment, par des efforts divers, à introduire dans les choses de l’esprit une qualité précieuse et une véritable vertu, l’impartialité ; car la science aussi est sœur de la justice.

Mais l’impartialité n’est ni le doute ni l’indifférence. Elle éclaire, sans refroidir les nobles esprits, et elle s’allie parfaitement à cette connaissance de la marche générale des choses humaines qui ne permet à aucun de nous l’immobilité. Appliquée aux destinées de l’humanité, la méthode d’observation nous les montre composées des destinées des nations, et celles-ci à leur tour emportent dans leur sein les individus. Les individus ont donc leur part du mouvement universel. Or, ce mouvement, la direction peut nous en échapper quelquefois, mais l’origine en est moins mystérieuse que le but, et elle donne au rôle des individus dans l’action générale les caractères d’une mission. Il n’y a donc point d’indifférence permise, parce qu’il n’y a pas, à parler rigoureusement, d’inaction possible. Cela conduit et oblige en même