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temps le philosophe à s’enquérir, à se préoccuper de son temps et de sa patrie. De là, à toutes les époques, le lien nécessaire de la philosophie avec la politique actuelle ; et ce lien, par ses principes même, M. Jouffroy ne pouvait ni l’ignorer ni le rompre.

Les hommes marchent sous la loi de leurs idées ; ce n’est qu’en seconde ligne que se forment à la suite de ces idées des intérêts et des passions. Ces idées, dans leur développement historique et social, se confondent en une seule ou peuvent se ramener à une seule, celle d’un ordre vrai vers lequel gravite le genre humain. Cet ordre, s’il se réalisait jamais, serait celui d’une justice relativement parfaite, c’est-à-dire qu’il réduirait à ses moindres termes le mal sur la terre, le mal ou tout ce qui dégrade la dignité, restreint la liberté, altère la pureté de l’homme. Cet ordre restera éternellement idéal ; mais c’est vers l’idéal qu’il est toujours permis ou plutôt nécessaire de tendre. Nations et individus marchent à ce but, sans prendre toujours les voies les plus droites, sans toujours avancer d’un pas rapide ou sûr. Tout grand mouvement social est un effort qui suppose une résistance ; partout et toujours il y a donc lutte, conflit, sous des formes variées, et lorsque des évènemens grandioses et caractéristiques signalent une de ces luttes, on l’appelle, dans son développement régulier, du nom de révolution. Toute révolution qui rapproche soit l’humanité, soit une société, du but idéal, est bonne en soi et mérite la fortune. Ainsi doit se juger la révolution française.

On a tout dit sur le mélange du mal au bien dans les révolutions. La nôtre, jugée même en dehors de ses actes, considérée dans ses systèmes, n’échappe pas à la critique. Elle a payé largement tribut à la faiblesse favorite de l’esprit humain, c’est-à-dire que des idées exclusives l’ont souvent égarée, et cent fois plus exclusifs que les idées sont encore les sentimens de l’homme. Les sentimens exclusifs engendrent les actions iniques. De là les fautes et les excès de la révolution. A elle aussi devait donc s’appliquer la méthode critique qui servait à juger les doctrines, car les doctrines ne sont que les évènemens et les révolutions de l’histoire de l’esprit humain. Après vingt-cinq ans, la révision méthodique des systèmes et des actes politiques sous la condition d’une fidélité inaltérable à la cause qui ne pouvait cesser d’être la bonne, devait épurer et améliorer en quelque sorte la révolution en la rendant plus impartiale. Une connaissance plus complète des élémens sociaux correspondait en politique à un dénombrement plus exact en psychologie des faits intellectuels, et c’est ainsi que la même méthode