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qui leur allaient le mieux. À cette époque, où comme à nous tous l’expérience leur manquait, ils devaient beaucoup ignorer des personnes et des choses ; leurs vues pouvaient être étroites encore que sensées, et ils avaient à redouter cet emportement logique auquel résistent peu les esprits fermes et convaincus. Mais un bon sens supérieur maîtrisait tout en eux, et les systèmes et les passions, tandis que leurs instincts, sincèrement nationaux, les rendaient propres à prendre de l’ascendant sur les masses. Si l’étude et la méditation n’avaient pas encore suffisamment agrandi leurs idées, il était certain que les faits exerceraient toujours un empire décisif sur des intelligences si justes et si vigoureuses. Jamais rien de la réalité ne leur devait échapper. Ils avaient à cœur d’achever l’œuvre effective commencée par nos pères. En eux se devait personnifier quelque jour la révolution, éclairée et non affaiblie par le temps, ayant conservé toutes ses passions et gagné toute sa sagesse.

Ce n’était pas dans les brillantes et mobiles écoles de Paris qu’ils s’étaient formés. Les véritables élèves de ces écoles, ceux qui en continuaient la féconde impulsion, étaient de jeunes hommes dont la science et l’étude avaient assoupli et développé l’esprit, nourri d’abord des croyances et des idées populaires. Déjà les mécomptes de la politique, et l’on pourrait dire de la philosophie révolutionnaire, la curiosité naturelle à des gens lassés des banalités d’une littérature usée, les loisirs laborieux de la paix, l’excitation générale produite par les luttes de principes que la restauration provoquait follement, avaient enfanté un certain nombre d’esprits critiqués, mais graves et enthousiastes, élevés et difficiles, tout-à-fait propres à renouveler les goûts et les idées. Après des études approfondies et variées, familiarisés avec l’examen de tous les systèmes sur le vrai et de tous les genres de beau, ces hommes à tendances spéculatives avaient comparé toutes les doctrines à toutes les réalités, et, trouvant peu d’accord, ils étaient naturellement amenés à se refaire des principes sur chaque chose. Leur prétention était de sortir de toutes les routines, et d’ouvrir l’œil et l’oreille aux idées neuves, sans prédilection de parti pris, sans engouement systématique. Politique, littérature, beaux arts, mœurs même, tout les intéressait à la fois, et en tout ils cherchaient la pensée profonde que le vulgaire méconnaît. La nouveauté les séduisait trop peut-être, mais il leur semblait que les revers nombreux de la cause du siècle attestaient de telles erreurs, que c’était le servir que l’éclairer sur lui-même et rajeunir ses idées. D’ailleurs ils prétendaient bien ne rien omettre, ne rien supprimer, et retrouver des raisons inconnues