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Dès qu’on le sut atteint d’un mal menaçant, lorsqu’on put entrevoir les périls d’une santé toujours fragile, la sollicitude commune répondit à l’anxiété de ses amis, et, quand vint le jour fatal, tout ce monde, si absorbé dans les futiles intérêts du présent, trouva un moment pour regretter un homme qui ne les servait pas, et dont la vie n’était utile qu’à la science et à la vérité.

M. Jouffroy avait une figure calme et régulière qui annonçait l’attention pénétrante et l’élévation de l’esprit. Sa taille était grande, ses manières distinguées et simples ; sa bienveillance sans abandon accueillait et ne prévenait pas. Il unissait, à la dignité la sérénité, si du moins on en devait croire son front et son accent, et sans doute il déroba toujours son ame aux émotions éphémères qui troublent la vie, aux épanchemens fugitifs qui les aggravent en les exprimant. Cependant un œil clairvoyant découvrait sous ce calme apparent une sensibilité facile à blesser, et la trace de souffrances qu’il n’avouait pas. Il pouvait se résigner à être inconnu, mais non méconnu, et les attaques injustes, même les contradictions vives, trouvaient le faible de son cœur. Peut-être manquait-il de philosophie avec les hommes, puisqu’il leur avait laissé le pouvoir de lui faire du mal. Comme on sentait dans ses graves écrits un feu caché d’imagination, sous le calme inaltérable de son attitude on devinait une vivacité d’impressions qui put coûter quelque chose à son bonheur, et rien à sa dignité. De tendres amis ont seuls pu savoir dans quelle mesure se compensaient en lui la sensibilité qui trouble l’ame et la raison qui l’apaise. Peut-être sa destinée ne fut-elle pas aussi heureuse qu’elle fut tranquille. Dieu seul assiste la vie intérieure de l’ame. La paix du cœur n’est souvent que la douleur ignorée.

Qui pourrait cependant ne pas envier le partage de M. Jouffroy ? Il a vécu pur, digne, honoré ; il a connu les affections intimes, le bonheur de la famille. Ses talens et son caractère l’auraient dans tous les temps distingué parmi les meilleurs. Les circonstances où il a vécu ont rehaussé sa valeur ; il a traversé un temps instructif, où, s’il n’a guère été permis de faire de grandes choses, il a été facile d’en apprendre, d’en concevoir, d’en propager d’excellentes. Il n’a failli à aucun de ces devoirs. Il s’était formé à cette école de la disgrace où les esprits se fortifient, où les caractères s’ennoblissent. L’opposition dans une bonne cause est le meilleur des apprentissages ; qui ne l’a peint traversé s’en ressentira toujours. Nous avons eu le bonheur d’être pendant longues années en lutte légitime contre un pouvoir assez fort pour résister, non pour opprimer ; condamnés par-là à une