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Les trois belles cariatides de l’Erechtéum ont été, dit-on, conservées à la Grèce par la superstition populaire. Déjà une d’elles avait été enlevée par lord Elgin. Le peuple, qui les nommait les vierges et les considérait comme des êtres surnaturels veillant sur Athènes, le peuple murmurait de leur enlèvement. On attendit la nuit pour l’achever. Comme les Turcs s’approchaient, prêts à consommer le sacrilège, une plainte se fit entendre parmi les ruines Était-ce le vent qui sifflait à travers les débris ? Les soldats turcs, atteints eux-mêmes par une terreur qu’ils n’auraient pas dû ressentir, et redoutant les vierges, reculèrent ; On ne put les décider à porter la main sur elles, et ainsi un reste de l’ancienne religion qu’elles inspiraient les sauva[1].

Chaque jour, les Grecs font acte de dévotion païenne Les mariniers, en passant devant les promontoires les plus dangereux, jettent des dons à la mer comme à une divinité qu’ils veulent apaiser. Le Grec répand des libations de vin ou d’huile sur un vaisseau qu’on met à flot ou sur les flammes du foyer. Les Athéniens, fidèles à leur nom et au souvenir d’Athéné (Minerve), considèrent comme un présage favorable que l’oiseau consacré à cette déesse, partout ailleurs oiseau funeste, vienne se poser sur leurs maisons[2]. On va encore dormir sous les chênes de Dodone afin d’avoir des idées lucides. Souvenir des songes fatidiques d’autrefois[3].

Dans les campagnes règnent des préjugés superstitieux mentionnés par Théophraste ou par Théocrite. Un lièvre[4] qui traverse le chemin est une cause d’effroi. Si l’on trouve un serpent dans une maison, au lieu de lui faire du mal, on le révère comme le bon génie du lieu, l’agathodemon. La fascination, qui est venue des Grecs aux Italiens, s’appelle encore en Grèce bascania (d’où fascinatio). Celui qui veut en prévenir les effets doit, comme au temps de Théocrite, cracher trois fois dans son sein. Le sens de cette singulière déprécation est révélé par ce que racontent plusieurs voyageurs : s’il leur était arrivé de se récrier sur la beauté d’un enfant, la mère tout éperdue les suppliait de cracher sur le charmant visage qu’ils avaient loué. On eût dit qu’elle voulait par là désarmer la jalouse colère des dieux, toujours prêts à punir les

  1. Buchon, la Grèce continentale et la Morée, p. 68.
  2. Dodwell, Travels, t. 2, p. 43-4.
  3. Pouqueville, t. I, introd., p. X.
  4. Voyez la traduction italienne des Caractères de Théophraste, par M. Léontaraki, p. 39. Les notes de cette traduction renferment plusieurs rapprochemens curieux entre les anciennes mœurs et les mœurs actuelles des Grecs.