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il ne faut pas le tirer de sa sphère. Le bon moment de sa vie est celui qui suivit sa rupture avec son illustre et puissant patron, le prince de Galles. On n’est pas bien d’accord sur les causes qui amenèrent sa disgrace. Brummell l’attribua toujours à l’influence de Mme Fitzherbert, la maîtresse du prince, qu’il avait grièvement blessée par quelques sarcasmes. Et puis, le prince prenait du ventre, ce qui l’indisposait beaucoup contre son ami, qui avait l’indiscrétion de rester toujours jeune. Quoiqu’il en soit, Brummell se vit fermer ce palais de Canton où il avait régné si long-temps. La manière dont il supporta sa disgrace lui fait certainement le plus grand honneur. En aucune circonstance de sa vie, il ne montra plus d’esprit et plus de verve, autant de courage et de dignité. Il prouva alors ce dont on aurait pu douter, qu’il était quelque chose par lui-même, et qu’il n’était la créature ni de son protecteur ni de son tailleur. Loin de reculer devant son royal ennemi, il le poursuivit de respectueuses impertinences, et lui fit une guerre impitoyablement spirituelle. « C’est moi qui l’ai fait, disait-il, je saurai bien le défaire. » Il prétendit avec la gravité la plus amusante qu’il mettrait le vieux roi à la mode, et du salon du prince de Galles il passa dans celui du duc d’York. Le côté sensible du prince, son embonpoint, devint pour le favori disgracié un texte inépuisable de sarcasmes. À cette époque, Brummell et trois de ses amis, lord Alvanley, M. Henri Pierrepoint, et sir Henri Mildmay, la fleur des pois de Londres, donnèrent un bal célèbre connu sous le nom de bal des dandies. Ils venaient d’avoir une veine, et avaient gagné au jeu une somme considérable ; ils résolurent d’en faire royalement les honneurs. Le bal fit évènement ; on en parla long-temps à l’avance, et le prince de Galles manifesta le désir d’y être invité. « Quand l’approche du prince fut annoncée, dit le narrateur, les quatre dandies prirent chacun une bougie et allèrent le recevoir dans toutes les formes. Pierrepoint, qui connaissait le prince, se tint le plus près de la porte ; Mildmay comme le plus jeune, était vis-à-vis, Brummell et Alvanley à côté. Le prince entra, parla poliment à Pierrepoint, à Mildmay et à Alvanley, puis il se tourna du côté de Brummell, le regarda, et passa sans avoir l’air de le connaître. Ce fut alors que Brummell, saisissant avec infiniment d’esprit et de promptitude l’hypothèse qu’ils étaient Inconnus l’un à l’autre, dit tout haut à son vis-à-vis : « Alvanley, qui est ce gros homme de vos amis ? » Ceux qui virent en ce moment le prince disent qu’il fut piqué au vif par le sarcasme. »

Brummell ne perdait plus une seule occasion de blesser le prince, avec l’air du monde le plus innocent, Un autre jour, il passait devant