Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On se rejette volontiers, faute de grands travaux et de génie, sur ces œuvres coulantes et faciles ; l’élévation et l’originalité manquant, cette petite littérature a son mérite. Les vieux documens, les correspondances retrouvées, inspirent aussi de l’intérêt. Voici la correspondance amoureuse, ou plutôt une des correspondances amoureuses de Robert Burns. Certes le titre est curieux[1] : des lettres intimes échangées pendant une année entre une dame écossaise mal mariée, belle, romanesque, un peu hardie, et le paysan passionné qui fut pour l’Écosse un demi-Jean-Jacques et un demi-Béranger ! vraiment cela s’annonce bien, mais quel dénouement !

On s’attend à de la flamme, on va marcher sur l’Etna ; . vous vous dites tout bas qu’il y aura là des choses bien fortes, et, si l’on est décidément très vertueuse et très puritaine, on tremble, tout en se rassurant sur la solidité des principes. Eh bien ! pas du tout. Les choses tournent de la manière que voici : le paysan est affecté, la dame romanesque, les complimens sont fades et sentent la province d’une lieue ; l’héroïne s’appelle Clarinda, le héros est Sylvander (quelque chose comme Sylvandire ou Sylvanire), et, s’il vous faut absolument de la passion simple, puissante, complète, vous irez la chercher ailleurs, dans les salons les plus exquis, chez Mlle de l’Espinasse, Mme de Staël ou Mme Cottin.

La correspondance érotique de Mme Mac-Lehose, destinée à grossir le nombre des livres inutiles, embarrasse un peu les admirateurs idolâtres de Burns, dont la pureté n’était pas immaculée en matière amoureuse. Il s’accusait lui-même à cet égard de toute espèce de vices et de faiblesses ; coquetterie, penchant, goût, folie, entraînement fugitif, passion, caprice, il admettait tout :

Misled by fancy’s meteor ray,
By passion driven.

Le feu-follet de la fantaisie l’avait attiré cette fois vers une demi-veuve, femme d’esprit et d’une beauté colossale, séparée de son mari et disposée à l’indulgence pour un grand poète paysan. Mistriss Mac-Lehose habitait Édimbourg et y tenait bureau d’esprit. Entourée de son auréole de femme à la mode, parée de cette élégance hasardée que le métier de précieuse permet au beau sexe, elle captiva aisément enfant des Glens, qui d’ailleurs avait l’œil brillant comme un diamant noir, et se posait fièrement sur ses hanches. Il en résulta une flirtation,

  1. The Correspondence between Burns and Clarinda. Edinburgh, 1844.