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— C’était la seizième fois que le peuple agissait ainsi extra-judiciairement et convenablement depuis six mois.

Voilà pour la sûreté des personnes. Quant à la liberté de la presse, elle est abolie dans plusieurs localités ; le maître, c’est la foule ; ce qui déplaît au maître, on ne peut l’imprimer. Un journal de New-York ayant reproduit un discours du docteur Channing, lequel discours renfermait des observations contraires à l’esclavage, ce journal fut mis en vente à Charleston, ville du sud ; aussitôt l’association des planteurs de la Caroline intente un procès au libraire de Charleston, que l’on force à déposer 1,000 dollars pour sa caution Ce libraire venait de recevoir un ballot d’exemplaires du voyage de Dickens, qui, on le sait, n’épargne pas les planteurs, effrayé, il se hâte de faire insérer l’annonce suivante dans les journaux de la ville : « Le livre de M. Dickens sera soumis à l’inspection d’un comité composé de membres intelligens de l’association de la Caroline du Sud. S’ils en approuvent la vente, je le mettrai en vente, sinon, non. » Ce comité, n’est-ce pas la censure elle-même ? — Non-seulement ces faits existent, mais ils s’érigent en principes, ils constituent une théorie. La Chronique de Georgia-Augusta dit expressément « Il faut que tous les états du Sud mettent à mort quiconque demandera la liberté des esclaves, et qu’on tue cet homme dès qu’on le trouvera, partout où on le trouvera. » — Le Télescope de Colombie (Caroline du Sud) va plus loin encore, et s’exprime en termes plus atroces : « La question de l’esclavage n’est pas ouverte à la discussion, ce système a poussé chez nous de trop profondes racines, il doit durer à jamais. Du moment où un individu s’avise de venir nous sermoner sur l’immoralité et le péril de l’esclavage, il faut lui couper la langue et la jeter sur le fumier[1]. »

Le Trurican de la Nouvelle-Orléans et le Phare de Norfolk (Virginie) sont remplis de menaces analogues. Ces menaces se réalisent souvent, comme le prouvent les récits contenus dans le Libre Commerçant des Natchez[2] et dans l’Argus du Missouri. Tous ces journaux, que nous avons sous les yeux, font foi d’un retour complet à la vie sauvage. Deux ennemis se rencontrent dans les rues et se massacrent ; cela s’appelle un duel. Les journaux s’expriment très légèrement là-dessus et racontent en trois lignes ces boucheries domestiques, comme les choses du monde les plus naturelles. « Le major un tel a rencontré le capitaine un tel, et lui a asséné un coup de bâton ; le capitaine a

  1. « His tongue shall be cut out and cast upon the dunghill… »
  2. 16 juin et 17 octobre 1843.