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de départ le monde réel ; on ne rêvait que des mondes imaginaires. Quelques formules hermétiques allaient suffire pour régénérer la société la délivrer des maux qui l’assiégent, y fonder à jamais l’empire du bonheur et le règne de l’aisance. Désormais plus de misères, plus de souffrances ; il ne devait y avoir de place ici-bas que pour une félicité sans limites.

On devine quels dangers peut engendrer une semblable disposition des esprits. Sans doute le devoir des classes favorisées est de penser à celles qui vivent sous une sorte de tutelle, et dans une société qu’animerait un mobile élevé, le dévouement, devrait se produire en raison de la position. Ce devoir est impérieux, il ne souffre point d’exception et n’admet pas de privilège ; mais, en le remplissant dans toute son étendue, il convient aussi de ne pas s’égarer dans les régions de l’impossible et de se défendre contre des illusions funestes. C’est jouer avec le malheur que de le bercer de rêves, de faire des promesses qui se seront pas tenues, d’exciter des désirs qu’aucun pouvoir humain ne saurait satisfaire. Il y a là-dedans une ironie cruelle, un abus de l’imagination vis-à-vis des réalités. Si l’intention est louable, l’effet en est triste. Quand on aura long-temps échauffé le peuple au récit exagéré de ses propres douleurs, quand on lui aura promis des réparations chimériques, par exemple, plus de salaire en retour d’un moindre travail et un bien-être indépendant de ses efforts, pourra-t-on s’étonner de le voir, un jour changer ses désappointemens en colères et continuer l’utopie dans le sens d’une rébellion ? Peut-être serait-il sage de réfléchir plus qu’on ne le fait à cet avenir gros de menaces et de s’occuper ardemment du bien qui peut se réaliser sans épuiser sous toutes les formes l’histoire et le roman du mal.

Cette prudence a été l’un des plus beaux titres de M. Rossi ; il a su résister, et en résistant il a préservé la science. Ni le bruit ni les attaques ne le troublèrent dans la ligne de ses études, dans les voies de son enseignement. Il sut préparer et attendre l’heure d’une réaction. Convaincu de la force que l’expérience ajoute aux idées, il reprit l’économie politique au point où ses devanciers l’avaient laissée, et tout en expliquant Smith, Say, Ricardo et Malthus, il les discuta avec la liberté d’un esprit puissant, mais respectueux. Il se fit l’interprète de la tradition, mais ce fut un interprète indépendant, discutant les problèmes économiques en homme habitué à les dominer, n’abdiquant pas son initiative, quoiqu’il sût la contenir. Ainsi, d’une part résister au choc les idées turbulentes et téméraires, de l’autre ne rien accepter du