Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

talent : en politique comme ailleurs, il gagnerait à obéir à ses inspirations, à ne relever que de lui-même. Il est peu d’esprits que la nature ait mieux traités : personne n’a des vues plus nettes en droit public, en administration, en économie sociale ; il sait à fond la jurisprudence, le mécanisme des intérêts et la langue des affaires ; rien ne lui est étranger, ni les petits effets, ni les grandes causes, ni l’ensemble, ni le détail. Pourquoi ne donne-t-il pas à ces facultés éminentes une direction, un essor plus libres ? pourquoi les laisse-t-il s’énerver, s’amoindrir dans une condescendance fâcheuse ? Les hommes qui ont apprécié ce qu’il vaut sont en droit d’attendre beaucoup de lui et d’y compter le jour où il se livrera davantage à son initiative.

Comme économiste, M. Rossi est à l’abri de toute accusation de ce genre. Personne n’a envisagé avec plus d’indépendance les problèmes qui se rattachent au régime des intérêts, exposé les faits avec une conscience plus entière, ne cachant, ne déguisant rien, ni ses convictions ni ses doutes. En lisant ces belles pages où le bon sens parle une langue si claire, on n’éprouve qu’un regret, c’est que l’œuvre soit restée à moitié et qu’il faille en attendre la fin. On l’a vu, M. Rossi est un économiste orthodoxe, mais ses croyances s’appuient sur un examen raisonné. Les théories de Smith et de Ricardo ont pris, en passant par sa plume, une force et une autorité qui n’y étaient qu’en germe : M. Rossi les rectifie et les agrandit en les expliquant. Cependant il évite avec soin tout ce qui ressemble à de l’indiscipline, et au milieu des folies du temps, c’est là une preuve d’un bon sens exquis. Pour être prise au sérieux, une science a besoin d’apporter quelque mesure dans les modifications qu’elle subit : elle ne peut pas se laisser reconstruire, tous les dix ans, de fond en comble. La liberté d’une époque n’est pas enchaînée sans doute par le point de vue des époques antérieures, et il serait ridicule de vouer la pensée humaine à l’immobilité ; mais l’usage du droit de réforme, quand il porte sur l’ensemble d’une science, ne saurait être accompagné de trop de ménagemens ni entouré de trop de réserve. Le passé lègue à l’appui des idées qu’il recommande, outre leur valeur propre, l’impression qu’elles ont produite, l’ascendant qu’elles ont acquis, la clientelle qu’elles se sont faite. Dans un système de destructions successives, ces résultats s’évanouissent, et un jour arrive où l’on ne trouve plus que le néant en place d’une science, et des ruines pour tout abri.

M. Rossi n’a pas voulu que son nom fût impliqué dans une œuvre d’effervescence et d’étourderie. En demeurant sur le terrain de l’expérience, il a infligé une leçon à ceux qui s’égarent à la poursuite de