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prétention, sous une forme très simple, très calme, et il écrivit l’Evangile des Laïques.

Très simple, très calme, oui, mais très hardie, telle est l’idée de ce livre. Il tient tout ce que promet le titre et le nom de l’auteur ; c’est l’Évangile refait par un docteur hégélien pour une église nouvelle. Le poète suit pas à pas saint Jean ou saint Luc, depuis l’incarnation du Verbe éternel jusqu’à la résurrection du Christ, depuis Bethléem jusqu’au Calvaire ; il traduit gracieusement le divin récit, et chaque chapitre est terminé par une explication qui en détourne le sens et lui fait proclamer les idées de l’école.

Voici d’abord un prologue qui renferme en quelques vers l’histoire de la chute, selon le récit de la Genèse, avec l’interprétation hégélienne, puis l’évangile, s’ouvre comme dans saint Jean : In principio erat Verbum, au commencement était le Verbe. Quand le poète a traduit l’évangéliste, ce qu’il fait souvent avec assez de bonheur, il se met à prêcher sur son texte ; et pour qu’on sache ce que sera cette prédication dans tout le cours de l’ouvrage, il suffit peut-être d’indiquer le commentaire de ce premier chapitre. Ce Verbe éternel, incréé, qui s’est fait chair, il s’était fait chair bien avant le Christ ; dès que l’homme est créé, dès qu’il existe dans l’œuvre des six jours, voilà le Verbe venu en ce monde. Seulement, comme l’humanité a oublié qu’elle était le Verbe, comme la chair a étouffé l’esprit, le Verbe s’est fait chair une seconde fois d’une manière spéciale, d’une manière expresse et déterminée, dans la personne du Sauveur. Jésus a été le sauveur, parce qu’il a délivré le Verbe des liens qui l’enchaînaient, parce qu’il a montré à tous les hommes qu’ils étaient, comme lui, les fils de Dieu et le Verbe devenu chair. Que vous dirai-je enfin ? Dès le début de son évangile, le poète a dit le dernier mot de la doctrine de Hegel, il a atteint les conclusions de M. Strauss. Le procédé sera le même à tous les chapitres ; le récit d’abord, puis les commentaires apocryphes, et enfin les mystiques élans, les prières, l’encouragement moral, l’exercice de piété pratique approprié à chaque sujet. Au moment de détruire ainsi le sens consacré des livres saints, le poète, malgré la ferme décision de son esprit, semble hésiter quelquefois. Écoutez ces strophes sur l’annonciation :

« La pieuse légende est semblable à l’œuf d’or qui brille, mystérieux, sur le duvet du nid. Son éclat attire l’œil curieux des enfans ; chaque jour, c’est une tête nouvelle.

« Ils ne se doutent pas, dans leur innocente gaieté, qu’au sein de l’œuf