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du nez sont voilés[1], exactement comme s’il s’agissait d’une dame de Constantinople.

La clôture des femmes n’existait pas chez les Grecs, mais, quoi qu’on en ait pu dire, elle n’existe pas non plus en Turquie : les femmes de Constantinople sortent perpétuellement, les rues sont pleines de femmes, et surtout les bazars. Ce qui caractérise les mœurs orientales, c’est que jamais les hommes ne sont admis à pénétrer dans l’appartement intérieur, ou vivent ensemble la mère, les sœurs, l’épouse[2] du maître de la maison et ses enfans. Or, il en était de même à peu de chose près des femmes grecques dans l’antiquité, et les hommes n’étaient pas plus admis dans les gynécées qu’ils ne le sont dans les harems. On ne voit pas dans l’Odyssée que les prétendans, malgré leur audace, entrent jamais dans l’appartement où Pénélope vit retirée, filant la laine, ou brodant la toile au milieu de ses servantes. D’autre part, les désordres reprochés au gynécée par les poètes grecs sont ceux dont on accuse le harem. Aristophane et Athénée reviennent à plusieurs reprises sur le goût des femmes grecques pour le vin ; il paraît que ce goût est partagé par les femmes turques : honteux passe-temps de la solitude, auquel entraîne la privation des plaisirs plus délicats de la société. Il faut attribuer à la même cause les conversations grossièrement licencieuses des dames turques entre elles, même de celles qui appartiennent à la classe la plus élevée. Simonide parle aussi de ces réunions où les femmes grecques tenaient des discours pleins d’aphrodite. L’honnête familiarité des deux sexes que repoussaient les préjugés de l’antiquité, et que réprouvent encore aujourd’hui les mœurs de l’Orient comme indécente et criminelle est aussi nécessaire à la moralité des entretiens qu’à leur agrément.

Rien ne saurait donner une idée des licences de l’ancienne comédie grecque aussi bien que les bouffonneries déhontées des ombres chinoises de Smyrne et de Constantinople. L’accoutrement impudique des satyres qui paraissaient dans les drames grotesques auxquels ils avaient donné leur nom a été fidèlement conservé par un personnage scandaleusement burlesque, nommé Karageuz, favori de la populace turque, qui se permet devant elle certaines gaietés dont les analogues

  1. Expédition de Morée, t. III, pl 43 fig. 2.
  2. On a beaucoup exagéré la polygamie orientale ; elle diminue chaque jour, et l’on m’a assuré à Constantinople que, lorsqu’un homme a deux femmes, il les établit chacune dans une maison différente. Les frais de ces doubles ménages doivent les rendre assez rare.