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aux menées politiques et à toutes les petites intrigues qui se nouent et se dénouent du matin au soir, M. l’abbé Liautard est mort en bon curé, et qu’il repose dans la paix du Seigneur à l’ombre de la royale forêt de Fontainebleau.

La politique de la restauration, celle d’hier, est déjà vieille ; la politique d’aujourd’hui le sera demain. M. le capitaine Tanski a fait sagement en réunissant sans retard ses Lettres sur l’Espagne en 1843 et 1844 : le meilleur moyen de faire valoir un livre, c’est de le publier à propos. M. Tanski a séjourné assez long-temps en Espagne pour être initié aux détails de la situation, faire connaissance avec les hommes, ne pas se laisser prendre aux apparences, découvrir les ressources cachées, et pouvoir, en un mot, témoigner à son retour de ce qu’il a vu, en méritant créance. Le livre de M. Tanski s’ouvre en août 1843 et se ferme en mai 1844, et durant cette courte période se passent des évènemens à défrayer des années. Le régent tombe de haut, sans chercher à se défendre, comme s’il était poussé d’une main fatale ; le ministère Lopez ne sait pas s’asseoir ; les affaires de Barcelone éclatent, Sarragosse se soulève, les pronunciamientos font leur tour d’Espagne. Ici se place comme intermède une comédie politique qui a failli devenir un drame : l’élévation, la puissance et la chute de M. Olozaga forment une trilogie qu’aurait pu écrire Beaumarchais. M. Gonzalez-Bravo s’improvise ministre, le général Narvaez arrive et prend le gouvernail, et cela, tout cela, en moins d’une année ! Quelle succession d’évènemens et de leçons ! Mais au milieu de la débâcle politique, des désordres financiers, des soulèvemens des provinces, il est un spectacle que je ne puis me rappeler sans attendrissement : c’est la jeune reine et sa sœur, à Retiro, sous l’œil de la veuve de Mina, bêchant un petit jardin, parce que leur gouvernante veut leur faire comprendre la vie du pauvre.

Les lettres de M. Tanski sont une gazette très variée. De la Puerta del Sol, ou de la politique en plein air, on passe à la vie et à la pensée intime des hommes considérables, ministres, orateurs, généraux, qui exercent une influence sur les affaires actuelles de la Péninsule. Aucun détail n’est omis, et on peut constater, jour par jour, les difficultés énormes qu’éprouve le gouvernement représentatif à s’acclimater dans la vieille Espagne. Chacun le désire, le veut même ; mais on ne peut s’y faire. Le raisonnement y porte, et l’habitude en éloigne ; là est la cause de cette instabilité effrayante qui habite les régions gouvernementales ; là est la vraie cause de cet imprévu, puissance nouvelle qui semble tout dominer en Espagne, et qui ouvre des chausse-trappes sous les pas de tous ceux qui escaladent le pouvoir. Vraiment, c’est bien à propos de cette malheureuse Péninsule, s’efforçant d’établir le régime constitutionnel malgré elle-même, et où la logique des évènemens brille par son absence, qu’on peut, comme le grand Frédéric, reconnaître sa majesté le Hasard.

La situation politique et les mœurs actuelles de l’Espagne sont fidèlement reproduites dans les Lettres de M. Tanski, qui ont un intérêt véritable.