Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Esprit entreprenant et singulier, curieux sur toute chose de rencontres périlleuses et de romanesques hasards, l’auteur de ce livre aime le voyage pour ses aventures et n’est pas homme à négliger une émotion nouvelle, dût-il l’aller chercher dans les gorges sauvages du pays basque, au milieu des guérillas de don Carlos dont il commanda dix-huit mois les bandes par fantaisie, ou, dans des dispositions moins chevaleresques, au fond des plaines arides de l’Estramadure, partageant avec des populations misérables leur triste galetas et leur pain noir frotté d’ail, quitte à s’indemniser des privations du moment par le sentiment du pittoresque, cette jouissance que le vulgaire ignore, ce plaisir raffiné des poètes et des grands seigneurs. Et cela n’empêche pas notre aristocratique touriste de recueillir çà et là ses notes de voyage tout aussi bien, je dirai même beaucoup mieux que personne, car au moins, avec lui, la fantaisie et le caprice ne viennent point à tout propos dénaturer ce que telle ou telle observation peut avoir en soi d’utile et de profitable, et vous n’avez pas à craindre à chaque page tant de digressions insignifiantes, tant de plates et sottes vantardises dont trafique aujourd’hui chez nous toute une espèce d’écrivains, braves gens qui courent les grandes routes par spéculation, et se font comme les commis-voyageurs de je ne sais quelle industrie littéraire en honneur chez un certain public.

Avant d’écrire le livre qui nous occupe, l’auteur de ces esquisses sur le Portugal avait publié un volume sur l’Espagne, ouvrage sérieux et contenant sur les opérations de l’armée carliste pendant la guerre civile, sur les projets et les plans de don Carlos, des renseignemens du plus haut intérêt. Quiconque a lu ce livre se souviendra d’un passage célèbre où l’auteur, après avoir exposé les mille passions qui s’agitaient autour du prétendant, raconte les étranges motifs qui empêchèrent l’armée carliste, un moment triomphante et touchant aux portes de Madrid, d’entrer dans la capitale des Espagnes, et jette un nouveau jour sur cet épisode resté obscur de cette déplorable campagne. Aujourd’hui c’est le Portugal que visite le voyageur, complétant ainsi son travail sur la péninsule ibérique, excursion toute pacifique cette fois et que le jeune général, naguère au service d’un prince factieux, entreprend en ancien ami du royal époux de doña Maria, en poète aventureux épris du romanesque, en gentilhomme s’informant de politique, d’industrie et de littérature, et, comme on l’imagine, voyant partout le meilleur monde.

Ce livre a cela d’original, qu’il ne s’en tient pas aux capitales, et pousse ses explorations au cœur même du pays, mérite plus rare qu’on ne l’imagine dans les ouvrages de ce genre. En effet, rien n’égale l’indifférence de certains touristes à l’égard des villes centrales, si ce n’est leur aplomb à reproduire éternellement, et sans grandes variations, les mêmes thèmes. En général, on croit avoir tout dit quand on a parlé de Lisbonne et de Cintra, et poursuivre jusqu’à Mafra ses pérégrinations, c’est vouloir faire plus qu’on ne doit à son lecteur. Aujourd’hui que les bateaux à vapeur d’Angleterre ne mettent que quatre jours dans leur traversée, et qu’il faut vingt heures pour passer de Cadix à Lisbonne, cette facilité de voyager, au lieu