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d’enhardir les gens et d’éperonner en eux le désir de connaître, semble encourager davantage leur humeur indolente, et vous en verrez bon nombre rayer de leurs tablettes tout endroit où les omnibus n’atteignent pas. Si je ne me trompe, au XVIIIe siècle les choses se faisaient plus en conscience. Il en était alors un peu des touristes comme des poètes. À la vérité, les uns et les autres on ne les comptait point par centaines, comme aujourd’hui ; mais au moins, s’il s’en présentait un, la méfiance ne s’attachait point à ses récits, et quand il vous prenait fantaisie d’écrire sur les mœurs et la politique d’un pays que vous veniez de parcourir, il n’entrait jamais dans l’esprit du lecteur de contester l’autorité de votre parole. Là comme partout, la dignité humaine avait une plus large place, et les droits de la vocation étaient maintenus. Lorsqu’en 1777 le duc du Châtelet visita le Portugal, il ne se contenta pas de voir Lisbonne ; en dépit d’une température excessive, en dépit des mauvais chemins et des mauvais gîtes, il parcourut tout le pays, et ses notes de voyage sont restées comme un des plus intéressans documens qui existent sur les commencemens du règne de Maria Ire. Il vit Pombal, dans sa solitude, dans cette petite ville de Pombal où le ministre déchu se retira et vécut jusqu’à l’âge le plus avancé. À ce propos, je remarquerai combien il est fréquent de voir les hommes d’état atteindre à des vieillesses fabuleuses. D’où vient ceci ? N’y a -il point là un problème à résoudre, et dont on trouverait peut-être-la clé dans ce mot d’un homme d’esprit : « Les égoïstes vivent cent cinquante ans, comme les perroquets ? » À l’exemple du duc du Châtelet, l’auteur du livre nouveau s’est occupé de Pombal, mais d’une façon moins complète sans doute, moins authentique, et se bornant à recueillir les souvenirs encore vivans dans sa ville natale. Chez nous, un travail historique fort distingué avait récemment appelé l’attention sur cet homme d’état. Après les remarquables pages de M. le comte de Saint-Priest, qui lui aussi, et mieux que personne, serait appelé dans l’occasion à dire son mot sur le Portugal, on ne lira peut-être pas sans intérêt certains détails biographiques contenus dans l’ouvrage allemand. « Derrière Cordiera, à l’ouest, s’élève une longue chaîne de montagnes de craie. Ici le pays devient plat et désert ; des champs de maïs pauvrement ensemencés, çà et là quelques oliviers rabougris, trahissent déjà le voisinage de l’Estramadure. Enfin, après cinq lieues mortelles, vous arrivez à Pombal, assise au sein d’une vallée agréable, véritable oasis en ces solitudes désolées. C’est là que l’illustre ministre portugais a passé dans l’exil ses dernières années, au milieu d’une population qui, encore aujourd’hui, ne prononce son nom qu’avec reconnaissance. Les petits enfans parlent de lui au voyageur, et vous rencontrez des vieillards à barbe blanche qui vous racontent comme quoi le grand marquis, o grau marquez, avait fait construire à Pombal des magasins de blé, bâtir des greniers d’abondance où les indigens de la ville pouvaient puiser à discrétion. Chaque jour, après son dîner, une multitude affamée assiégeait sa petite maison, dont les portes s’ouvraient à mesure, jusqu’à ce que le dernier