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était l’ame d’une insurrection. Sur l’ordre de M. d’Aubigny, commandant en l’absence de M. Bruat, M. Pritchard est arrêté et incarcéré ; puis, au retour du gouverneur, il est mis à bord d’un vaisseau anglais sous la condition de n’être débarqué sur aucun point des îles de la Société. Que peut-on reprocher aux autorités françaises ? Dira-t-on avec lord Palmerston que les Français n’avaient pas le droit d’exercer la souveraineté dans l’île, que cette souveraineté, ayant été désavouée par la métropole, est réputée n’avoir jamais existé ; que dès-lors, pour M. Pritchard, elle a été nulle de fait et de droit ? Cette doctrine n’est pas soutenable ; elle est à peine défendue par les feuilles anglaises. Lord Palmerston en a tout le mérite. C’est un principe reconnu que tout gouvernement de fait exerce une autorité souveraine ; ceux qui l’attaquent le font à leurs risques et périls : il ne leur est pas permis d’invoquer la protection de leur gouvernement pour couvrir leurs hostilités. M. Pritchard avait protesté contre l’occupation souveraine de Taïti : il devait en rester là. Combattre cette occupation sans l’aveu de l’Angleterre, c’était faire un acte dont il devait seul répondre, et qui par conséquent ne pouvait être mis sous la garantie de son gouvernement. D’ailleurs, que la souveraineté établie à Taïti fût réputée légitime ou non par M. Pritchard, peu importe. Si les Français n’avaient pas la souveraineté, ils avaient au moins le protectorat ; or, pas plus sous le protectorat que sous la souveraineté, les missionnaires et les résidens étrangers n’avaient le droit de troubler l’ordre. Dira-t-on encore avec lord Palmerston, soutenu cette fois par lord Aberdeen et par les feuilles anglaises, que M. Pritchard, bien qu’il eût amené son pavillon, n’avait pas cessé d’être consul de l’Angleterre ? Qu’importe ? Consul ou résident, il n’avait pas le droit de conspirer. S’il était consul, dites-vous, on ne pouvait le détenir ou même l’arrêter ; son titre le rendait inviolable ! On fait ici une confusion : c’est en effet le privilège d’un ambassadeur d’être inviolable dans le pays où il représente son souverain ; s’il conspire, on peut le renvoyer, et non l’arrêter. Mais ce privilège n’existe pas pour les ministres plénipotentiaires, à plus forte raison pour les consuls. Le révérend M. Pritchard était-il donc ambassadeur d’Angleterre à Taïti ?

En France, pour venir au secours de M. Guizot, on a imaginé un autre texte d’accusation. Deux feuilles ministérielles ont insinué plus ou moins clairement que des réclamations légitimes pouvaient s’élever sur la durée et sur la rigueur de la détention. Cela mènerait au désaveu de M. d’Aubigny. Voilà l’expédient trouvé. Le bruit court que M. Guizot ne serait pas éloigné d’offrir cette satisfaction à l’Angleterre. S’il en est ainsi, M. Guizot serait bien mal inspiré. Où a-t-il vu que M. d’Aubigny se soit rendu coupable de procédés violens envers son prisonnier ? On lit partout que M. Pritchard a été traité comme un prisonnier de distinction. De plus, M. d’Aubigny est connu pour un homme sage et modéré. Si des violences ont été commises, comment se fait-il que tout le monde les ignore, excepté M. Guizot ? Quant à la durée de la détention, comment pourrait-on blâmer M. d’Aubigny d’avoir