Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
687
MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

donnant le jour à une fille qui s’appelait Hélène et promettait d’être belle comme l’avait été sa mère. La lettre de M. de Vaubert décida la baronne à partir sur-le-champ. La séparation fut douloureuse. Malgré la différence de leurs âges, les deux enfans s’aimaient tendrement. Mme de Vaubert et le marquis de La Seiglière étaient liés par l’habitude et par le malheur. D’aucuns ont prétendu méchamment qu’ils s’étaient consolés mutuellement dans leur veuvage ; ces sots propos ne nous importent guère. Le fait est que, près de se quitter, ils se sentirent émus et troublés. C’étaient de vieux amis. La baronne insista pour emmener le marquis et sa fille, leur offrant de venir continuer à Vaubert la vie qu’ils avaient menée sur la terre étrangère, et laissant percer l’espoir d’unir un jour Hélène et Raoul. Le marquis ne dissimula pas qu’une pareille union comblerait ses vœux les plus chers ; plus d’une fois il en avait lui-même caressé secrètement le rêve. Il prit acte de la proposition de la baronne, et dès cet instant, les deux enfans se trouvèrent fiancés l’un à l’autre. Quant à l’offre de retourner en France, et d’aller s’établir à Vaubert, M. de La Seiglière, quoiqu’il lui coûtât de se séparer de ses compagnons d’infortune, fit entendre assez clairement qu’il la regardait comme inacceptable. Ses idées, en vingt ans, n’avaient pas fait un pas. Il ne pardonnait pas à M. de Vaubert d’avoir compromis son nom dans les fournitures des armées, et n’était pas homme à partager les bénéfices d’une fortune rachetée à ce prix. Enfin, pour rien au monde il n’aurait consenti à voir de si près le vieux trône de France occupé par un usurpateur, et les domaines de la Seiglière possédés par un de ses fermiers. À ses yeux, Bonaparte et Stamply n’étaient que deux spoliateurs qu’il mettait sur la même ligne ; il appelait l’un le Stamply des Bourbons, l’autre le Napoléon des La Seiglière. Il était curieux et plaisant à entendre sur ce sujet ; aimable esprit d’ailleurs, qu’on ne pouvait s’empêcher d’aimer. Bref, plein de confiance dans un avenir qui réintégrerait la monarchie et ses serviteurs dans leurs biens, droits et privilèges, il s’obstina à ne vouloir remettre les pieds en France que lorsqu’on en aurait chassé les Stamply de toute sorte, les uns à coups de canne, et les autres à coups de canon.

La rentrée de Mme de Vaubert fut tout un poème de déceptions poignantes et d’amers désenchantemens. Sur la lettre de son mari, qui n’abordait aucun détail, et qui, jusqu’alors, avait toujours exagéré le succès de ses entreprises, la baronne s’était imaginé qu’elle allait retrouver son château tel à peu près qu’elle l’avait laissé, avec toutes ses dépendances. À Poitiers, elle ne fut pas médiocrement surprise