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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

sant la tête, quand des cris du dehors attirèrent son attention. Elle se leva, s’approcha du balcon, et reconnut, au bout du pont jeté sur le Clain, Stamply qu’une bande de petits drôles poursuivaient à coups de mottes de gazon. Le vieux proscrit, sans chercher à repousser les hostilités, s’enfuyait aussi vite que le permettaient son âge et ses souliers ferrés. Mme de Vaubert le suivit long-temps des yeux, puis retomba dans sa rêverie. Elle en sortit souriante et radieuse. Que s’était-il passé ? qu’était-il advenu ? Moins que rien, une idée. Mais une idée suffit à changer la face du monde.


III.


À quelques jours de là, Mme de Vaubert prit le bras de son fils, et, sous prétexte d’une promenade aux environs, gagna la rive droite du Clain. C’était la première fois, depuis son retour, qu’elle se décidait à toucher cette rive. En passant devant la grille du parc, elle s’y arrêta quelques instans, et, comme si elle cédait à l’entraînement des souvenirs, elle ouvrit la porte et entra.

— Que faites-vous, ma mère ? s’écria Raoul, qui s’était vainement efforcé de la retenir sur le seuil ; ne craignez-vous pas d’outrager le marquis et sa fille en mettant le pied sur ces terres ? N’est-ce point faillir du même coup au culte de l’amitié et à la religion du malheur ? Enfin, avec les sentimens de haine et de mépris que nous professons l’un et l’autre contre le maître de ces lieux, vous semble-t-il que ce soit ici notre place ?

— Venez, venez, mon fils ; ce n’est point outrager le marquis que de chercher sous ces ombrages les souvenirs qu’il y a laissés. Où vous voyez une insulte au malheur, M. de La Seiglière ne verrait lui-même qu’un pèlerinage pieux. Venez, répéta-t-elle en s’appuyant doucement sur le bras de Raoul ; nous n’avons pas à redouter de fâcheuses rencontres : c’est l’heure où je vois, chaque jour, passer M. Stamply allant visiter ses domaines. D’ailleurs, je dois vous avouer, mon fils, que je suis un peu revenue de mes préventions, et que cet homme ne me paraît mériter, à bien prendre, ni la haine ni le mépris dont le pays se plaît à l’accabler. Je dirai même qu’il y a dans cette destinée proscrite et malheureuse au sein de la prospérité quelque chose de touchant, et qui, malgré moi, m’intéresse.

— Quoi ! ma mère, s’écria le jeune homme ; un fermier qui a dé-