Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
697
MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

priétaire. Ajoutez que les vingt années qui venaient de s’écouler n’avaient point rajeuni la fraîcheur des tentures. Ces lampas fanés, ces dorures noircies, ce luxe sans jeunesse, ces vestiges d’une splendeur où la vie ne se révélait plus, composaient l’intérieur le moins réjouissant qui se puisse imaginer. C’était beau et triste comme ces vastes salles du palais de Versailles, qu’on admire en les traversant, mais où l’on sent qu’on mourrait d’ennui, si l’on était obligé de les habiter. Il n’y avait que le salon où venaient d’être introduits Mme de Vaubert et son fils qui eût conservé, par une faveur toute spéciale, la fraîcheur et l’éclat, la jeunesse et la vie. On eût dit que Mme de La Seiglière l’animait encore de sa grâce et de sa beauté. Bernard, de son vivant, s’était plu à l’orner et à l’embellir de tous les trésors que le marquis n’avait pu emporter avec lui dans l’exil, et Stamply, après le départ et même après la mort de son fils, avait voulu, par religion pour sa mémoire, que cette pièce fût entretenue avec autant de soins que par le passé, comme si Bernard devait y rentrer d’un instant à l’autre. Aussi tout y respirait-il la splendeur des hôtes d’autrefois. Ce n’étaient que damas de Gênes, tapisseries en point de Beauvais, meubles de Boule chargés d’objets d’art, cristaux étincelans, groupes en biscuit, porcelaines de Saxe et de Sèvres, filets d’or courant au plafond, bergeries de Watteau au-dessus des portes ; il y avait là de quoi fournir vingt pages de description à quelques-uns de ces esprits charmans qui ont créé la poésie de l’inventaire et se montrent moins préoccupés du mobilier de l’ame que de l’ameublement des maisons. Après avoir tout observé avec une attention jalouse, après avoir reconnu et touché du doigt tout ce qu’il n’avait vu jusqu’alors que dans ses rêves décevans, Raoul s’approcha de la fenêtre et se prit à regarder d’un air sombre le castel ruiné de Vaubert, qui ne lui avait jamais paru si pauvre ni si désolé qu’à cette heure. Pendant ce temps, la baronne contemplait son fils avec complaisance, souriante et sereine comme si elle tenait en son pouvoir la baguette magique qui devait relever les tours de son château et rendre à Raoul la fortune de ses ancêtres.

Stamply ne tarda pas à revenir, suivi de deux garçons de ferme qui portaient d’un air ébahi des plateaux chargés de sirops, de crème, de fraises et de vins d’Espagne. La foule des serviteurs, qui se composait d’une cuisinière, d’un jardinier et d’une gardeuse de dindons, se pressait dans l’antichambre et cherchait à voir, par la porte entr’ouverte, Mme la baronne et son fils. Depuis l’avènement de Stamply, c’était la première fois que le château se trouvait à pareille fête.

— Voici qui est du dernier goût, dit Mme de Vaubert avec son