Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
710
REVUE DES DEUX MONDES.

Mme  de Vaubert l’habitude des entretiens familiers et des épanchemens intimes. Réduit brusquement au silence, son cœur ne tarda pas à se sentir atteint d’un mortel ennui. Il perdit en moins de quelques jours cette paix intérieure et cette douce sérénité qu’il avait puisées dans ses relations. Privée de son unique appui, sa conscience recommença de défaillir. La vanité se mit de la partie pour tourmenter cette pauvre ame. Son expulsion de Vaubert n’était déjà plus un mystère. C’était le bruit général que Mme  de Vaubert avait chassé ignominieusement le vieux gueux ; on en faisait des gorges-chaudes. Stamply aurait pu ignorer les sots discours qui se tenaient à ce propos ; mais un soir, en traversant le parc, il entendit ses serviteurs, qui, ne le sachant pas si près, s’entretenaient gaiement de sa mésaventure. Ses fermiers, vis-à-vis de qui, en des temps plus heureux, il s’était paré d’une amitié illustre, affectaient de s’enquérir auprès de lui des nouvelles de Mme  la baronne. S’il restait au logis, se promenant de chambre en chambre d’un air accablé, ses gens venaient à lui d’un air officieux et demandaient, tantôt l’un, tantôt l’autre, pourquoi leur maître, pour s’égayer et se distraire, n’allait pas faire visite à Mme  la baronne. S’il se décidait à quitter la maison pour battre tristement la campagne, la valetaille disait, en manière de réflexion, assez haut pourtant pour qu’il l’entendît : Voilà notre maître qui va passer une heure ou deux avec Mme  la baronne ! Quoique d’humeur endurante, il fut tenté plus d’une fois de leur frotter les épaules avec son bâton de cornouiller.

Ces mots, madame la baronne, résonnaient sans cesse à son cœur et à ses oreilles. La vue du château de Vaubert le plongeait dans des mélancolies sans fin ; il demeurait souvent de longues heures, silencieux, immobile, à contempler l’Éden perdu et regretté. Cet amour même de la propriété, que nous venons de signaler, ne lui suffisait plus ; Mme  de Vaubert avait développé en lui d’autres instincts, d’autres appétits, d’autres besoins non moins impérieux. D’ailleurs, cet amour, le seul qui lui restât ici-bas, était empoisonné dans sa source. Il se rappelait avec épouvante la misérable fin de l’excellente Mme  Stamply, ses scrupules, ses terreurs, ses remords, les dernières paroles qu’elle avait prononcées avant d’expirer. Il y pensait le jour, il en rêvait la nuit ; exaltée par l’abandon, son imagination lui faisait un sommeil peuplé de lugubres images. C’était tantôt le spectre irrité de sa femme, tantôt l’ombre éplorée de Mme  de La Seiglière. Après une semaine ou deux d’une existence ainsi torturée, il se tourna, sans y songer, vers l’idée que la baronne lui avait indiquée comme un port. Ce ne fut d’abord qu’un point lumineux, scintillant dans la brume, au lointain