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veau ; être à la fois une école de philosophie et une église. L’école d’Alexandrie a échoué dans ces deux entreprises. Reniée par le paganisme qu’elle altérait en le voulant transformer, elle a été vaincue par l’esprit nouveau et a péri avec la religion et la philosophie helléniques. De nos jours aussi, nous voyons reparaître ces tentatives où Porphyre, où Jamblique, où Julien, ont échoué. Tandis que des esprits étroits ou frivoles continuent contre le christianisme et contre toute religion une guerre insensée, rêvant je ne sais quelle religion de la nature ; tandis qu’un parti non moins aveugle dans ses desseins, non moins violent dans ses implacables haines, s’acharne à la destruction de toute libre philosophie, les esprits plus sages ou plus généreux se partagent en deux directions contraires : les uns nous proposent un mélange impossible de la philosophie avec le christianisme les autres courent hardiment après la chimère d’une religion nouvelle. Sur des entreprises analogues, l’histoire a prononcé une fois. Écoutons et méditons ses arrêts, et, tout en comprenant la différence des temps passés et des temps nouveaux, faisons servir l’étude approfondie des siècles qui ne sont plus à l’utilité du nôtre. C’est l’œil toujours fixé sur ce but que nous allons introduire nos lecteurs dans l’histoire de l’école d’Alexandrie.

L’école d’Alexandrie était profondément inconnue en France il y a vingt-cinq ans. Qui s’intéressait alors à l’histoire de la philosophie ? Qui lisait Platon et Aristote, saint Anselme et Gerson, Bruno ou Campanella ? Descartes et Leibnitz étaient les anciens. En lisant Spinoza, on eût craint de se jeter dans l’érudition et d’être taxé de pédanterie. Aux uns, Condillac suffisait pleinement ; aux autres, Reid. Aussi, lorsqu’en 1819, M. Cousin annonça qu’il allait publier les manuscrits inédits de Proclus, il n’y eut qu’un cri parmi ses amis contre une entreprise aussi ingrate, aussi stérile, aussi insensée. C’était quitter la philosophie pour une vaine et laborieuse érudition, c’était déserter les problèmes eux-mêmes pour leur histoire, c’était jeter l’esprit moderne dans une fausse voie. M. Cousin laissa dire ses amis. La publication de Proclus se rattachait à ses yeux à un grand dessein ; il voulait renouer la chaîne des traditions que le XVIIIe siècle avait rompue. Il voulait donner à la philosophie de notre temps une base large et puissante dans les travaux accumulés du passé. En proposant à ceux qui l’entouraient cette vaste et pénible tâche, M. Cousin ne se ménageait pas : il éditait Proclus, traduisait Platon, restituait Xénophane, débrouillait Eunape et Olympiodore et méditait d’avance la scholastique et Abailard. Aujourd’hui que ces travaux en ont suscité tant d’autres d’un si