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de la pensée et de l’être, c’est-à-dire au-dessus de toute mortelle raison, il entrevoit comme à travers un épais nuage cette unité absolue qui nous attire par un charme mystérieux et nous accable de son impénétrable mystère. Cette haute région, d’où Platon se hâte de descendre de crainte de s’y égarer, les alexandrins entreprennent de s’y établir. Le mysticisme, comme le panthéisme de cette audacieuse école, sont donc deux développemens naturels de la méthode platonicienne. C’est avec raison qu’Alexandrie s’est déclarée fille de Platon, bien que les deux doctrines soient essentiellement différentes. Alexandrie est platonicienne par sa méthode ; mais elle l’est avec puissance, avec originalité, parce qu’elle a tiré de cette méthode un panthéisme mystique qui n’y était contenu qu’en germe.

De là une explication assez simple de leur fameuse trinité. Au premier coup d’œil jeté sur cette trinité d’Alexandrie qui se rattache à tous les grands souvenirs de l’histoire de la pensée humaine, au système de Pythagore, à celui de Platon, aux trinités de l’Inde, enfin à cette haute et profonde Trinité chrétienne qui fait depuis dix-huit siècles le fond des croyances religieuses de la partie la plus éclairée de l’espèce humaine, l’esprit est saisi de tout ce qui s’y rencontre d’extraordinaire. Dieu est triple et un tout ensemble. Cette nature absolument simple se divise. Au sommet de l’échelle plane l’Unité ; au-dessous, l’intelligence identique à l’Être, ou le Logos ; au troisième rang, l’Ame universelle, ou l’Esprit. Ce ne sont pas là trois dieux, mais trois hypostases d’un même Dieu. Qu’est-ce qu’une hypostase ? Ce n’est point une substance, ce n’est point un attribut, ce n’est point un mode, ce n’est point un rapport. Qu’est-ce que l’Unité ? Elle est au-dessus de l’Intelligence et de l’Être, au-dessus de la raison ; elle est incompréhensible et ineffable. Sans être intelligente, elle enfante l’Intelligence ; elle produit l’Être, et elle-même n’est point un être. A son tour, l’Intelligence immobile et inactive produit l’Ame, principe de l’activité et du mouvement. Est-ce assez de ténèbres ? est-ce assez de contradictions ?

Un examen plus approfondi, sans résoudre ces contradictions, sans dissiper toutes ces ténèbres, les éclaircit. Quand l’ame humaine, imposant silence à l’imagination et aux sens, se recueille en soi-même comme dans un temple consacré à Dieu pour méditer sur le principe de son être, quand elle oppose aux misères de cette existence fugitive l’idéal d’une vie parfaite, le premier moyen qu’elle possède de se représenter Dieu, c’est d’étendre, pour ainsi dire, à l’infini toutes les perfections dont elle porte la trace. C’est là le premier effort d’une