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sur celle des rapports de Dieu avec le monde, il a adopté le dualisme.

On a beaucoup répété que le dualisme était le fond de toute la métaphysique ancienne, que la notion d’un principe unique de l’existence universelle appartenait essentiellement au christianisme. Suivant cette doctrine, le plus grand effort des plus puissans génies de l’antiquité, ç’a été de concevoir une intelligence suprême qui a organisé le chaos. Le dieu de la philosophie ancienne est l’architecte du monde ; il en est même la providence, mais non point le père et l’auteur. Cet artiste admirable a besoin d’une matière, laquelle, en recevant son action, lui impose à son tour des limites et entre en partage de ses plus sublimes attributs, l’éternité, la nécessité, l’indépendance. De là une sorte de manichéisme qui fait Dieu source de tout bien ; la matière, source de tout mal. Il était réservé au christianisme d’extirper le mauvais principe et d’annoncer aux hommes l’être des êtres, source unique de tout ce qui respire et qui vit. Voilà l’histoire de la philosophie telle que les pères de l’église l’ont faite, et telle que Baltus, au XVIIIe siècle, l’opposait aux philosophes qui prétendaient trouver dans Platon les dogmes fondamentaux du christianisme.

La discussion approfondie de cette question nous mènerait trop loin ; nous n’insisterons que sur un point qui nous paraît incontestable : c’est qu’il est de l’essence de la méthode dialectique d’exclure le dualisme. Elle consiste en effet à s’élever des objets sensibles aux idées et des idées à Dieu ; elle y parvient en séparant dans chaque chose deux élémens, l’élément positif, durable, l’être, et l’élément négatif, variable, le non-être. Dans cette marche dialectique dont parle Platon, le philosophe ne laisse donc rien derrière soi que des limites et des négations, et le dieu auquel il arrive, cette idée par excellence qui contient toutes les idées, c’est l’être absolu, l’être hors duquel il n’y a rien.

Nous pouvons consentir moins encore à admettre que Platon, dans sa sublime théodicée, se soit arrêté à un Dieu mobile et changeant, à cette ame du monde que les alexandrins ont placée au plus bas degré de leur Trinité. On abaisse ici singulièrement le maître devant le disciple, et j’ose dire que Plotin eût décliné l’honneur que son historien lui veut faire, d’avoir, le premier, conçu Dieu comme un être absolument immuable, élevé, non par des degrés, mais par la plénitude incommunicable de la perfection au-dessus de tous les êtres de l’univers. Faut-il rapporter ici les passages de la République, du Phédon et du Banquet, où Platon s’explique avec une majesté et une magnificence de langage qui n’excluent pas la plus rigoureuse précision sur l’absolue