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est l’ame du christianisme. Il ne s’agissait donc point ici d’une subtilité d’une distinction théologique ; il s’agissait d’un dogme essentiel, lié à la Trinité, à l’Incarnation, à la Rédemption, qui touchait à toutes les croyances, à tous les principes, et jusqu’aux cérémonies du culte. Supposez qu’au IVe siècle la doctrine chrétienne fût arrêtée, organisée sur tous les points ; supposez surtout que, depuis trois siècles, elle n’eût pas un instant varié : je vous demande de m’expliquer comment une hérésie qui la renversait de fond en comble a pu faire une si prodigieuse fortune, comment un simple prêtre d’Alexandrie a pu faire échec à l’église tout entière ? Ce prêtre obscur se lève un jour, et propose sa doctrine sur Jésus-Christ. Son évêque veut étouffer sa voix ; il persiste, et, quelques années après, sa querelle est celle du monde. L’arianisme envahit les conciles, et bientôt, suivant l’expression de saint Jérôme, le monde s’étonne d’être arien.

Qu’on remarque bien qu’il ne s’agit point ici de considérer l’arianisme comme un premier appel au droit d’examen, comme une protestation prématurée de la raison contre un dogme qui la révolte et l’enchaîne ; je parle des progrès de la doctrine d’Arius au sein même de l’église, parmi les fidèles les plus éprouvés, les évêques les plus respectables, les conciles les plus imposans par la solennité et le nombre. Qu’on fasse la part si grande qu’on voudra à l’obscurité des questions théologiques, aux intérêts temporels qui ont pu pousser certains évêques à l’arianisme et influer sur certains conciles, réserves déjà bien périlleuses pour l’infaillibilité de l’église, il reste une difficulté radicalement insoluble : c’est qu’une grande doctrine étant depuis plus de trois siècles, à ce qu’on assure, établie dans l’église et universellement consentie, il se soit rencontré pour autoriser, pour imposer la doctrine contraire, je ne dis pas de nombreux chrétiens, je ne dis pas un certain nombre d’évêques, je ne dis pas un synode on une forte minorité dans un concile ; je dis des millions de fidèles, des centaines d’évêques, une foule de grands conciles. Sait-on bien que le concile de Milan, qui a condamné et déposé Athanase, en qui s’était personnifiée la foi de Nicée, était composé de trois cents évêques ? Je ne veux pas m’appuyer sur le concile de Rimini, qui comptait plus de membres que celui de Nicée, et qui signa la formule de l’arianisme ; je sais que des intrigues passionnées se mêlèrent à la discussion ; que la faim et la soif vinrent au secours de l’hérésie ; qu’une violence matérielle fut exercée contre les évêques ; mais avant tout ordre de l’empereur Constance, le concile de Rimini comptait quatre-vingts évêques ariens. Le concile de Séleucie était composé de cent quarante-huit évêques, presque tous partisans