Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarés de l’arianisme. C’est dans cette assemblée qu’il fut décidé, à la majorité de 105 voix contre 43, que la substance du Fils n’était pas identique à celle du Père (homoiousion), mais semblable seulement (homoiousion). Les mots diffèrent peu, et l’on peut rire avec Boileau de l’univers troublé par une diphthongue ; mais allez au fond des choses : entre Jésus-Christ homme et Jésus-Christ homme-dieu, il y a l’infini, il y a, si l’on peut ainsi parler, l’épaisseur du christianisme. Or, ce mot fameux d'homoiousion, qui devint le drapeau de l’orthodoxie, d’où venait-il quand Nicée le consacra ? Si l’on en croit un témoignage très précis, quelque scandale qu’il puisse produire, ce mot sorti pour la première fois d’une bouche hérétique avait été expressément rejeté par le concile d’Antioche.

Ces conciles qui s’accusent réciproquement d’hérésie, ces synodes qui lancent l’anathème sur des hommes reconnus innocens par d’autres synodes, tout cela présente-t-il l’image d’une entente parfaite, d’une organisation définitive dans la doctrine ? Croit-on que le prêtre Arius ne fût pas d’aussi bonne foi que l’évêque Alexandre ? Eusèbe de Nicomédie n’avait pas le grand caractère et le génie de saint Athanase ; mais était-il moins sincère et moins attaché à la tradition des apôtres ? et le concile de Milan était-il moins indépendant du pouvoir civil que celui de Nicée où assistait l’empereur Constantin ?

Je ne citerai plus qu’un témoignage bien propre à peindre le véritable état de l’église au Ive siècle de l’ère chrétienne. Je l’emprunte à un personnage qui fut à la fois spectateur et acteur dans toutes les grandes affaires de son temps

« C’est, dit-il, une chose aussi déplorable que dangereuse, qu’il y ait autant de professions de foi que d’opinions parmi les hommes, autant de doctrines que d’inclinations, et autant de sources de blasphèmes qu’il y a de péchés parmi nous, parce que nous faisons arbitrairement des symboles que nous expliquons arbitrairement. L’homoiousion est successivement rejeté, reçu et expliqué dans différens conciles. La ressemblance totale on partielle du Père et du Fils devient dans ces temps malheureux un sujet de dispute. Chaque année, chaque mois, nous inventons de nouveaux symboles pour expliquer des mystères invisibles. Nous nous repentons de ce que nous avons fait, nous défendons ceux qui se repentent. Nous anathématisons ceux que nous avons défendus, nous condamnons la doctrine des autres parmi nous, ou notre doctrine chez les autres ; et en nous déchirant avec une fureur réciproque, nous travaillons à notre mutuelle ruine[1]. »

  1. Hilarius ad Constantium, liv. II, c. IV, v, p. 1227-28.