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Est-ce là le langage de quelque spectateur ironique, de quelque sceptique pessimiste et morose ? Non ; c’est celui d’un illustre père, d’un grand et vénérable prélat, de saint Hilaire, ce même évêque qui déclare en un autre endroit que dans les dix provinces de l’Asie où il était exilé il n’a trouvé qu’un bien petit nombre de prélats qui connussent la vraie religion, le vrai Dieu. Plus je relis ces témoignages, plus je me persuade que de toutes les entreprises la plus difficile serait d’établir que la doctrine chrétienne était fixée au second siècle, avant la formation de l’école d’Alexandrie.

Nous accorderons maintenant à M. Jules Simon un point de grande conséquence : c’est qu’en définitive, après une élaboration de quatre siècles, le christianisme a opposé à l’école d’Alexandrie une doctrine sur la Trinité qui diffère essentiellement de celle de Plotin. Il est impossible de recueillir avec plus de sagacité, d’analyser avec plus d’ordre et de netteté, de grouper d’une manière plus saillante les différences des deux systèmes. Toutefois, il en est une qui, sans doute, n’a pas échappé à l’habile historien, mais qui méritait d’être mise en un plus grand jour. A nos yeux, c’est la plus essentielle de toutes, et comme elle se rattache à l’ensemble tout entier et à l’esprit même de ces deux grands systèmes d’idées, elle nous conduira à les apprécier l’un et l’autre.

Dans la doctrine alexandrine, la troisième hypostase émane de la seconde comme la seconde émane de la première ; et cette même loi d’émanation par laquelle l’Unité engendre l’Intelligence, et l’Intelligence la Vie, préside aux émanations inférieures et gouverne tout l’univers. Elle est la loi unique, uniforme, nécessaire de l’existence. De là un vaste système où tous les degrés de l’être, depuis l’unité absolue jusqu’aux limites extrêmes du possible, se classent, s’échelonnent en vertu d’un même principe.

Dans la doctrine chrétienne, il en est tout autrement. Les trois personnes de la sainte Trinité ne sont pas unies par le même rapport. Le Père engendre le Fils, mais le Fils n’engendre pas le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est le fruit de l’union du Père et du Fils, il procède de l’un et de l’autre. Je me sers des termes consacrés : le rapport du Père au Fils est un rapport de génération ; le rapport du Saint-Esprit au Père et au Fils est un rapport de procession. Ces distinctions paraîtront subtiles et peut-être puériles à certains esprits ; nous croyons que sous ces définitions en apparence toutes verbales se cachent des idées profondes. Si les trois hypostases de la Trinité sont ainsi conçues, que la seconde émane de la première et la troisième de la seconde,