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nombre des moines et leurs richesses ont certainement beaucoup diminué, pourtant ils possèdent encore des biens considérables. Quelques-uns de leurs couvens, situés hors de la ville, ont été bâtis dans des situations délicieuses. Les cloîtres de femmes ont, à Bahia, un caractère tout particulier ; on y passe le temps à fabriquer des fleurs en plumes, et le libertinage le plus éhonté règne parmi les recluses. Les exemples de cette bizarre alliance de la débauche et de la dévotion ne sont, au reste, pas rares au Brésil.

La population noire de Bahia est robuste et active. On est frappé de la beauté des négresses qui reviennent des fontaines situées près de la ville une cruche d’eau posée coquettement sur la tête. D’autres négresses vendent des fruits, des poteries de toute espèce, et restent assises sur le seuil des maisons. Les nègres sont occupés à tresser des chapeaux de paille ou des nattes de couleur. On reconnaît, chez les noirs de Bahia, les caractères d’une race intelligente et laborieuse.

La société de Bahia ne ressemble point à celle de Rio-Janeiro ; on n’y retrouve pas l’arrogance et la raideur de ces grandes dames qui composent à Rio ce que l’on est convenu d’appeler la cour. Les relations du monde y offrent plus de charme ; l’abandon, la cordialité, n’en sont point bannies. Les femmes jouissent d’une grande liberté ; elles n’ont rien de cette gêne, de cette timidité qu’une sorte d’esclavage domestique donne trop souvent aux Brésiliennes. Elles se réunissent au théâtre, prennent part aux causeries du monde, et les maris, quoique très jaloux, permettent qu’on les accompagne. Ces femmes, qui ont toutes le désir de plaire, sont généralement peu jolies, et par leur teint olivâtre se rapprochent beaucoup des mulâtresses. Il faut leur savoir gré des efforts qu’elles font pour animer les tristes salons du Brésil et pour s’élever au-dessus de l’état d’infériorité sociale où leur sexe est réduit dans les autres provinces. Grace à leur aimable influence, Bahia conserve assez fidèlement les mœurs européennes ; la ville a ses fêtes, ses jours d’ivresse et d’oubli, son carnaval. C’est un étrange plaisir que ce carnaval de Bahia. Pendant trois jours, toutes les affaires sont suspendues ; si vous sortez, assailli de tous côtés par des cruches d’eau qu’on vous jette à la tête, vous rentrez, meurtri, mouillé, blessé souvent. Il se peut cependant qu’une jolie femme vous lance un fruit de cire rempli d’une eau parfumée, et alors rien ne vous empêche de vous introduire chez elle, car toutes les maisons restent ouvertes. Que de liaisons ont commencé pendant les intrudos ! Aussi les jeunes gens et les femmes conservent-ils avec un soin jaloux la