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« Religion très aimable, s’écriait-il, il est doux pourtant de pouvoir terminer en parlant de toi un travail qui a été entrepris en vue de faire quelque bien à ceux qui recueillent tes bienfaits de chaque jour ; il est doux de pouvoir, d’une ame ferme et assurée, conclure qu’il n’est point vraiment philosophe celui qui ne te suit ni ne te respecte, et que te respecter et te suivre, c’est être par là même assez philosophe. J’ose dire aussi qu’il n’a point un cœur, qu’il ne sent point les doux frémissemens d’un amour parfait, qu’il ne connaît point les extases dans lesquelles jette une méditation ravissante, celui qui ne sait point t’aimer avec transport, qui ne se sent point entraîner vers l’objet ineffable du culte que tu nous enseignes… Tu vivras toujours, et l’erreur ne vivra jamais avec toi. Lorsqu’elle nous assaillira, lorsqu’essayant de couvrir nos yeux d’une main ténébreuse, elle menacera de nous entraîner dans les abîmes entr’ouverts sous nos pieds par l’ignorance, nous nous tournerons vers toi et nous trouverons la vérité sous ton manteau. L’erreur fuira comme le loup de la montagne poursuivi par le pasteur, et ta main nous conduira au salut. »


Il y a loin de ces très jeunes élans aux réflexions amères et inexorables qui ont fait de Leopardi un des plus éloquens poètes du désespoir ; il fut quelques années encore avant d’en venir à cette transformation, à cette conversion profonde et définitive de tout son être, à travers laquelle ses croyans en périssant toutes, il faut le dire, ne montrèrent pourtant que plus à nu sa nature généreuse. Dans une note manuscrite de lui que j’ai sous les yeux, et qui a pour titre Supplemento generale a tutte le mie carte, je lis une dernière indication relative à un projet d’hymnes chrétiennes : Je simple canevas respire encore les mêmes sentimens de piété affectueuse qu’exprimait la conclusion précédente[1]. Ce papier doit être d’une date peu postérieure à 1819. On ne saurait se tromper en reportant la grande conversion philosophique de Leopardi entre les années 1820-1823.

Jusqu’ici donc, nous n’avons affaire qu’à un jeune homme précoce,

  1. Ce texte est trop imprévu dans la biographie qui nous occupe pour devoir être passé sous silence ; on en comprendra tout l’intérêt et le contraste en avançant dans le récit de cette destinée, si absolument dénuée de croyance consolante. Leopardi a fait route au rebours des Manzoni et des Pellico. Respectons, sans les juger, toute, conviction sincère et courageuse, tout martyre noblement subi. Mais voici les pensées de ses jeunes ans :
    « Al progetto degl’ inni cristiani.
    « Per l’ inno al Redentore : Tu sapevi già tutto ab eterno, ma permetti alla immaginazione umana che noi ti consideriamo come più intimo testimonio delle nostre miserie. Tu hai provata questa vita nostra, tu ne hai assaporato il nulla, tu hai sentito il dolore e l’infelicità dell’ esser nostro, etc. Pietà di tanti affanni, pietà di questa povera creatura tua, pietà dell’ uomo infelicissimo, di quello che hai redento, pietà del gener tuo, poichè hai voluto aver comune la stirpe cou noi, esser uomo ancor tu… (Et après quelques autres projets d’hymnes aux apôtres, aux solitaires, il revient d’une manière touchante.) Per l’ inno al Creatore o al Redentore : Ora vo da speme a speme tutto giorno errando e mi scordo di te, benchè sempre deluso, etc. Tempo verrà ch’ io, non restandomi altra luce di speranza, altro stato a cui ricorrere, porrò tutta la mia speranza nella morte : e allora ricorrerò a te, etc. Abbi allora misericordia, etc. » Et il finit en quelques lignes par un projet d’hymne à Marie.