Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout dans les Travaux et les Jours ; il la met presque au-dessus de celle d’Homère pour une certaine sincérité et ingénuité incomparable (schiettezza ), il incline fort à la croire du moins supérieure en âge, et à ce propos il s’étend sur les conditions diverses qu’exige la traduction des poètes anciens. Ici se déclare le studieux et passionné disciple, dont toute l’émulation va d’abord à les adorer. Il s’estimerait à jamais heureux de s’enchaîner comme traducteur à quelque illustre classique des premiers âges : « Qui ne sait, s’écrie-t-il, que Caro vivra autant que Virgile, Monti autant qu’Homère, Bellotti autant que Sophocle ? Oh ! la belle destinée, de ne pouvoir plus mourir sinon avec un immortel ! » Des jugemens très particuliers sur les divers traducteurs italiens les plus admirés montrent à quel point ces questions de style l’occupaient, et combien il travaillait déjà à tremper le sien. Il insiste surtout (avec toutes sortes de précautions et de révérentes excuses) sur ce qu’Annibal Caro, en donnant à sa traduction de Virgile une couleur de simplicité aimable et de noble familiarité, un certain air dégagé (scioltezza) ou, si l’on veut, de désinvolture, a légèrement faussé la noblesse de ton et la magnificence habituelle de l’original. Il en vient à conclure que le style de Parini serait plus sincèrement virgilien que celui de Caro. Lui-même, en 1817, il publia un essai de traduction en vers du second livre de l'Énéide qu’il admirait entre tous les autres, et qu’il ne lisait jamais sans larmes.

Ce goût philologique qu’il avait développé et aiguisé dans la lecture des anciens, Leopardi le portait aussi dans l’étude et l’usage de sa propre langue ; il revenait à Dante et aux vrais maîtres d’avant la Crusca. Une petite dissertation sur le participe reso (pour renduto) et le verbe sortire (dans le sens de uscire), que la Gazette de Milan avait compris en une même condamnation, atteste à quel point il ne laissait passer aucun détail, et combien il se préparait à être un vigilant écrivain. Il conclut d’une quantité d’exemples que, des deux mots proscrits par la Gazette puriste, le premier, c’est-à-dire reso, est du très bon italien, tout-à-fait usité et recommandable, et que le second, sortire pour uscire, est italien aussi, mais de bas aloi. Quelques années plus tard (1826), Leopardi publiera une traduction d’une ancienne chronique sacrée grecque ou copte (Martyre des saints Pères du mont Sinaï), traduction censée faite sur une version latine par quelque bon italien du XIVe siècle (1350), en prose contemporaine de celle de Boccace, et il trompera à première vue les connaisseurs les plus exercés. Le vieil Antonio Cesari, grand expert en fait de trécentistes, y fut pris et y donna son approbation. Ainsi, chez nous, Paul-Louis Courier