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Déjà meurent les bruits des passans sur les routes ;
Les lampes aux balcons s’éteignent presque toutes,
Ma Dame, et vous dormez ; car le sommeil est prompt
A qui n’a point d’ennui qui lui charge le front,
Et votre cœur ignore, en sa calme retraite,
Ma blessure profonde et que vous avez faite.
Vous dormez ; et je viens, sous l’aiguillon cruel,
A ma fenêtre ouverte, en face du beau ciel,
Saluer cette antique et puissante nature,
Mais qui, pour moi chétif, ne fut jamais que dure :
« Loin de toi l’espérance, enfant, m’a-t-elle dit ;
Oui, même ce rayon, l’espoir t’est interdit.
Qu’en aucun temps tes yeux ne brillent que de larmes ! »

— Ce jour-ci, qui finit, fut pour vous plein de charmes,
Ma Dame, un heureux jour, de divertissement,
De triomphe ; et peut-être encore, en ce moment,
Quelque songe léger vous rend à la pensée
Ceux à qui vous plaisiez dans la foule empressée,
Ceux aussi qui plaisaient… Oh ! non pas moi, jamais !
Un souvenir, c’est plus que je ne m’en promets.

Cependant je me dis ce qui me reste à vivre,
Je cherche quand viendra le moment qui délivre,
Et je me jette à terre et j’étouffe mes cris.
Jours affreux à passer sous les printemps fleuris !

Non loin d’ici j’entends à travers la campagne
Quelque chant d’ouvrier atardé, qui regagne
Sa chétive demeure, oublieux et content ;
Et j’ai le cœur serré de penser que pourtant
Tout fuit, sans laisser trace ; et déjà la semaine
A la fête succède, et le flot nous emmène.
Qu’est devenu le bruit des peuples d’autrefois,
Des antiques Romains et des citoyens-rois ?
Tes faisceaux, où sont-ils, colosse militaire,
Dont le fracas couvrait et la mer et la terre ?
Tout est paix et silence, et le monde aujourd’hui
Ne s’informe plus d’eux qu’à ses momens d’ennui.

Dans ma première enfance, alors qu’un jour de fête
Nous rend impatiens de l’heure qui s’apprête,
Ou le soir, au sortir du grand jour écoulé,
Tout douloureux déjà, dans mon lit éveillé,