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des idées et au récit de l’auteur. Essayons avant tout d’en indiquer les sources diverses et étrangères à nos mœurs.

C’est un roman sentimental et surtout religieux. Comme le dit ce bon évêque de Bellay, qui n’a pas écrit moins de deux cents romans religieux, « il n’est pas défendu, ains il est légitime, de mesler les honnestes esbattemens aux saintes pensées et de tempérer par le crystal aganippide l’amertume des eaux salutaires de Siloë : » cela veut dire tout simplement que la fiction, l’apologue et le roman bien employés peuvent légitimement venir en aide au sermon et à l’homélie. Les pères jésuites ont poussé cette licence au-delà des raisonnables bornes ; saint Bonaventure et saint Borromée, avant eux, avaient donné l’exemple modéré de cette méthode : instruire les hommes par des récits agréable. Même les calvinistes austères possèdent un chef-d’œuvre dans ce genre, le Pèlerin voyageur à travers le Monde (Pilgrim’s progress), par Bunyan, la dernière allégorie mystique que le moyen-âge ait léguée aux siècles qui le suivirent. Cette épopée en prose, qui compte « six cent cinquante-deux » éditions et traductions dans toutes les langues du Nord, mériterait d’être comparée à l’épopée catholique de Dante ; c’est l’œuvre d’un chaudronnier, qui l’écrivait en prison ; jamais le style anglais, même sous la plume de Swift, n’a déployé plus de vigueur, de simplicité, de concentration. Bientôt la fiction religieuse passa des mains du chaudronnier Bunyan à celles de Daniel de Foë et de Richardson ; vers la fin du XVIIIe siècle, elle devint en Angleterre le partage à peu près exclusif des femmes-auteurs les spinsters, vieilles filles, y excellèrent. Ce fut un mélange de pruderie, de dévotion, de coquetterie, de politique mondaine, de prétention et d’hypocrisie, pour lequel j’ai peu de goût ; miss Edgeworth s’en tira mieux que personne, et c’est la seule préceptrice de ce genre qui me paraisse digne ou d’éloge ou de pardon. Quant à la célèbre Hannah Moore, amie de Samuel Johnson, peu d’esprit, un style lâche, une invention stérile, un rabâchage éternel, constituent les mérites de son style ; c’est pis encore quant au fond. Sa morale est celle des apparences, dont on fait bientôt la morale de l’hypocrisie, et de l’utilité personnelle, qui se transforme vite en égoïsme. Dans les derniers temps, le roman religieux s’est confondu avec le roman fashionable ; cette phase littéraire, qui n’a pas été observée, tient, comme il arrive toujours, à des changemens graves survenus dans les mœurs.

L’alliance du calvinisme et de l’aristocratie est chose assez récente entre l’une et l’autre, aucune ressemblance originelle ne se trouve. Le dogme de Calvin, fondamentalement populaire et même républicain,